De la mode du composite vestimentaire

L’autre jour alors que je réfléchissais comme à mon habitude à l’avenir de l’humanité en suçant des bâtons de surimi et en me demandant si par hasard un jour le suçage de bâtons de surimi deviendrait un peu hype parce que moi j’aime bien faire des madeleines au citron et au thé vert mais y a des jours où c’est quand même vachement plus pratique de sortir des bâtons de surimi du frigo. Et c’est bizarrement bon, les bâtons de surimi. C’est un peu comme la saucisse de jambon, qu’est-ce que ça me manque la saucisse de jambon ; chez ces cul-serrés de Parisiens tu trouves que du saucisson corse au goût subtil, mais pour une bonne grosse saucisse de jambon à la pistache, faut se lever matin. Donc, pour rectifier, je ne réfléchissais pas à l’avenir de l’humanité mais au sens du plaisir, de gustibus non disputandum et anima sana in corpore sano surtout nourri à la saucisse de jambon.

C’est alors que ma pensée féconde et vagabonde fut arrêtée par une sollicitation de facebook (je ne passe pas beaucoup de temps sur facebook, mais comme les gens me harcèlent je suis quand même obligée d’y aller pour être polie) (la rançon de la gloire) ; il s’agissait de décrypter la fonction d’un objet nouvellement venu sur la scène de la fashion, le coatigan (mélange, donc de manteau et de gilet – coat et cardigan, pour tous les gugusses qui parlent pas anglais) (par contre vous aurez remarqué je traduis pas le latin) (le latin ça se traduit pas, ça se respire).

Voici le coatigan. Still hot. Bien plus qu'un simple manteau.

Voici le coatigan. Still hot. Bien plus qu’un simple manteau.

Commençons par souligner l’évidence : depuis quelques années, la mode est au mélange, à l’hybridation, viens faire toi-même le mélange de couleur sur les murs de la cabane du pécheur. Pourquoi cette FrancisCabrelisation de la tendance fashion ? Permettez-moi de soumettre mon humble opinion. L’amour du prochain, l’hybridation de la culture, la valorisation du grand Tout qui contient le sens de la vie et du Rien qui est Tout. Bref, la mode est philosophique ; le vêtement devient pour ainsi dire l’identité dans la différence qui est un ensemble de multiplicité ontologique sans concept. Enfin vous voyez.

Je vais vous soumettre quelques exemples, car comme vous le savez quand on veut montrer une idée il faut l’illustrer.

L’initiatrice de ce mouvement finalement assez stoïcien est bien évidemment Isabel Marant, qui créa il y a quelques années la BASKET COMPENSÉE à 400€ on s’en fout du prix ce qui compte c’est l’identité dans la différence. Bel objet racé, qui fait honte aux escarpins ; t’as pas du tout l’air d’une pouffe avec ça (je sens que je vais susciter quelques discussions animées au coin du feu) (je ne suis pas dans le jugement, attention, l’habit ne fait pas le moine) (bisou la Princesse de l’Elégance). Après, quand même, la basket compensée fait un peu la pouffe. Nan mais oh.

Les baskets compensées d'Isabel Marant. Pas cher, un si bel objet.

Les baskets compensées d’Isabel Marant. Pas cher, un si bel objet.

De manière générale, dans la lignée de cette initiative, le streetwear (ai jamais compris pourquoi on appelait les fringues de sport ou pour trainer chez soi des « trucs à porter dans la rue » – en même temps j’habite à 50 m de chez mon ex, je suis donc en robe du soir dès que je vais acheter une baguette, je dois avoir perdu le sens des réalités) « monte sur les podiums ». Le jogging dégueu « gagne ses lettres de noblesse ». Les niveaux de fringues s’accouplent allègrement dans une partouze débridée.

Nous en arrivons donc au concept du legging (caleçon, comme on disait dans les années 90 mais les années 90 attention c’est so années 90) ; mais du legging hybridé. Avec un jean, ce qui donne un jegging ; ou avec un pantalon (trousers bande d’incultes), ce qui donne tregging. Je vais ici attirer votre attention sur un souvenir mignon (mais néanmoins pertinent) de mon enfance, qui est que quand j’étais visiter le parc animalier de Thoiry ils avaient un truc mélangé tigre et lion trop choupi, un ligron. La nature est fascinante. Un peu comme si on faisait un bébé à partir de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ; ou de Rocco Siffredi et Christine Boutin. Donc voilà, vous avez l’idée du jegging. Au fil de mes recherches sur google fouillées dans les archives du Vatican, j’ai pu constater que sur un forum intitulé De natura jeanum, une jeune femme égarée se renseignait sur l’endroit où trouver un jegging en imprimé léopard. Les mots sont impuissants. Je… aaaaaaaah.

Jegging léopard doré à effet mouillé. Les mots sont impuissants.

Jegging léopard doré à effet mouillé (Asos). Parfois le langage ne suffit plus.

Voilà voilà, maintenant on arrive au coatigan, qui est un manteau un peu lose en laine. Bon cela dit, je suis un peu plus pour parce que ça fait quand même plus hispter que Rihanna aux Seychelles ; et que comme ça les mâles qui me voient avec mon magnifique gros gilet oversize orange vont arrêter d’arguer que « ça me donne une tête de lesbienne ». D’abord, une lesbienne ça n’a pas spécialement de tête et que je sache la mode c’est pour tout le monde. Les hommes sont parfois fatigants. Je me suis vue opposer un « j’aime pas les pantacourts » à des carrot pants retroussés destinés à créer un effet preppy des plus réjouissants. Ce qu’il y a, c’est qu’il faut quand même comprendre qu’on ne peut pas tout accepter : des carrot pants retroussés, oui ; un jeeging léopard, la mort. C’est quand même évident. Saperlipopette.

Et tout ça débarque en soirée : et vas-y le pyjama sur tapis rouge (sauf que t’es pas Greta Garbo), et vas-y le jogging en lamé, et vas-y que j’ai mal aux yeux et encore je te parle pas de Lady Gaga c’est le soir je suis fatiguée j’ai pas envie de me faire trop mal au sens esthétique.

Bref, philosophie et mode peuvent-elles faire bon ménage ? Je finirai en citant Diam’s : « J’sais que j’suis pas une bombe latine / Ni une blonde platine, DJ! / Laisse-moi kiffer la vibes avec mon mec (hein hein) / J’suis pas d’humeur à ce qu’on me prenne la tête (laisse-moi kiffer) »

(Note : merci de remplacer « mec » par « peluche ») (laisse-moi kiffer et ta gueule).

Un post écrit à l’instigation de la Fille des Arts Féministes ; remerciements spéciaux à Monsieur Catogan Latin pour les traductions. Bisous les amis.

De la pouffe

En mettant la dernière main à la fameuse playlist Pouffissima absoluta qui retentit en boucle à fond les ballons dans la cabine du Monster truck pour célébrer la nouvelle année, la lonesome camionneuse se trouve une nouvelle fois face à un concept riche et profond : la pouffitude. Abîmes de la pensée et du vocabulaire, il faut vous convoquer ici, et triturer un peu ce que parler de pouffe veut dire. C’est un peu comme l’appel du Nord, on ressent parfois de ces urgences langagières, de ces pulsions que seule l’écoute de Britney, Christina et Shakira peuvent susciter. Figures tutélaires de la pouffitude du XXIe siècle, merci.

Pouffes et pouffiasses font bien évidemment retentir le bibelot d’inanité sonore d’un tabouret obèse et vil (pouf-fi-asse) (c’est assez clair ce me semble) : le pouf bouffi salace  – la pouffe serait donc une femme sur laquelle on s’assied aisément, commode abréviation post-moderne du substantif pouffiasse, dont les syllabes s’allongent avec un peu plus d’alanguissement. On songe à une origine lointaine dans une colonie perdue, où fez et babouches font retentir l’appel du pouf derrière la moustiquaire. Mais enfin, toute littéraire, proustienne et néo-coloniale que puisse se révéler la pouffiasse, réjouissons-nous, son vocable est encore bien vivant.

La pouffe entretient une relation avec la prostitution, quoique relativement lointaine car le tarifage n’est pas forcément son rayon – il s’agirait plutôt d’une propension, d’une tendance à ouvrir les guiboles sans discernement. Générosité féminine bien compréhensible, quand on voit de quel poids dans l’existence est accablée la gent masculine : le travail, l’argent, les soucis, le bistro, le choix de la cravate, la perte de cheveux. Leur existence est un calvaire à temps plein. Il est bien normal que la pouffe, bienveillante et miséricordieuse, les aide à se remettre de ce fléau de Dieu qu’est la masculinité.

La pouffe, quoi qu’il en soit, ne trompe jamais sur la marchandise (à part un ou deux soutifs pigeonnants par-ci par-là), sain principe d’honnêteté que Lonesome Camionneuse a fait sien depuis longtemps (il n’y a que Sneaky Princess pour trouver acceptable les jupes sous le genou). La pouffe va donc court vêtue, le talon élevé, la mamelle en liberté, et laisse saillir ses appas telle une figure fellinienne et tentatrice. Elle est plutôt blonde (les clichés ont la vie dure, et la teinture n’est pas donnée, hélas) et manucurée. Souvent, la pouffe se complaît également dans un retour à l’enfance (prédilection pour le rose, couettes, sucettes à l’anis) (a-t-elle bien compris de quoi il s’agissait ? nul ne le sait vraiment). Pensez Barbie, à guichets ouverts. Bien entendu, elle n’a aucune prétention intellectuelle car, pfffff, à quoi cela servirait-il, elle va se trouver un mari riche qui lui paiera ses manucures (en cela la pouffe a quelque semblance avec Sneaky Princess, voyez que tout est toujours plus compliqué que cela n’en a l’air) (que c’est fatiguant !) Néanmoins, si l’envie lui en prend, elle peut se transformer en redoutable avocate d’affaires issue des grandes universités (cf. l’excellent film Legally Blonde, qui traite cette question en détail) (certaines abdiquent néanmoins cette option leur vie durant, BB à leur tête) (réfléchir, belle perte de temps que voilà !).

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Distinguons enfin, pour la bonne compréhension de la chose et la précision du vocabulaire, la pouffe de la connasse et de la radasse (source : Divine Marquise). La pouffiasse est donc jeune et légère et somme toute inoffensive dans son ethos, mais hélas la guette au coin du temps qui passe la date de péremption, terrible redéfinition ontologique de sa personne : la pouffe vieillit mal. La connasse, elle, est une cruauté qui va : « éternelle gagnante de la rivalité féminine au devenir de couguar assuré, son but est de mettre les hommes à ses pieds pour leur ravager la gueule à coup de talon-aiguille » (Divine Marquise, Oeuvres complètes, vol.36, p.69). La connasse est ainsi souvent une ancienne wannabe pouffiasse qui a raté sa jeunesse. Le temps de la revanche a sonné.

Entre ces deux tutélaires figures de la féminité (enviable condition que celle de femme, décidément) existe un entre-deux, que notre source encyclopédique a nommé purgatoire de la radasserie. Trop bête, trop grosse, pas assez fatale, la radasse est une pouffiasse vieillissante qui essaie de transcender la connerie et l’âge pour accéder au sublime connassien… mais en vain… il y a un aspect profondément tragique chez la radasse (qui vieillit encore plus mal que la pouffiasse et doit se consoler avec des litres et des litres d’Häagen-dasz). (Divine Marquise, Œuvres complètes, vol. 1, p.567) La radasse est une figure tragique, ce qui peut la rendre sympathique : elle attire ainsi dans ses filets de gentilles filles compatissantes, et pan ! « la radasse en manque de glace grasse et de consolation peut fort bien se taper le mec de son amie complaisante… la radasse aime les hommes plus que ses amies, c’est un grave problème » (Divine Marquise, Œuvres complètes, vol. 1, p. 999). Femina feminae lupa, ne l’oublions jamais. Prudence est mère de sûreté. Pour finir, la cagole est la pouffe du Sud : ajoutez un accent marseillais rocailleux et quelques chaînes en or et vous y êtes.

De fait, toute femme a sa part de pouffiasse en elle, comme l’illustrent bien ces quelques vers de chants pouffiassiques : Boys may come and boys may go / And that’s all right you see / Experience has made me rich / And now they’re after me, ’cause everybody’s / Living in a material world / Girls just wanna have fun / It’s raining men / All the lovers / Papa don’t preach / Comme disait Mistinguett / Eve lève-toi / Call me / Girl gone wild / Freed from desire / Et j’vis comme une boule de flipper / Qui roule.

Ce qui donnerait en traduction simultanée: Les mecs vont et viennent / Mais attends c’est trop pas un problème / L’expérience m’a rendue riche / Et maintenant ils veulent tous me pécho / Car tout le monde vit dans un monde matériel / Les filles veulent juste se poiler / Et il pleut des hommes / Tous ces amants / Papa, me fais donc pas la leçon / Like Mistinguett used to say / Rise, Eve / Appelle-moi / Une fille ensauvagée / Libérée du désir / And I live like a pinball / Rolling.

Oui, cette playlist est plutôt puissante et croyez bien que Jean-Sébastien tient la corde mais de justesse.

Qu’on me permette de finir sur une lamentation lexicale : hélas, la pouffiasse n’a point d’équivalent masculin (tout comme la pute d’ailleurs), ce qui est quand même un comble, car si les pauvres garçons ont envie de se balader en short ras-la-touffe, sur des chaussures à plate-forme, en succombant au charme de chaque femelle qui passe car la taille de leur cerveau les empêche de se souvenir de la précédente, pourquoi le leur interdire ? Non, on les affublera du vocable de drag-queen, absolument point adapté dans ce cas précis. Scandale.

Le combat pour l’égalité ne s’arrête jamais.

Barbie fuck

Merci aux Fleurs pour ce post quasi-participatif.