Textes trop d’la balle
Parce que c’est beau, et que moi j’aime quand c’est beau. na.
Hubert-Félix Thiéfaine, Quand la banlieue descendra sur la ville, 2001.
combattants dans les rues qui puent la trique
la moiteur rance & la mauvaise conscience
gargouilles ricanantes aux vitrines gothiques
dans la noria des brancards en cadence
on n’entend plus crapuler dans le vent
les discours des leaders & des tribuns
tous les mornes aboyeurs de slogans
les sycophantes & les théoriciens
bourgeoises hallucinées dans les poubelles
qu’elles n’auraient jamais dû quitter naguère
quatre-vingt neuf c’était leur chiffre à elles
maintenant ça change de date partenaires
j’espère que l’on assassinera mozart
& sa zikmu pour noces & matchs de foot
& qu’y aura du beau tag sur ces boulevards
plus spleeneux qu’une seringue après un shoot
quand la banlieue descendra sur la ville
pour la grande razzia des parias
quand la banlieue descendra sur la ville
pour le grand basta des rastas
eh mec tu t’acharnes à tirer les stores
pour te cacher de la rue en chaleur
& tu dis du bout de tes dents en or :
» dommage que dieu soit plus à la hauteur «
faut être saturé d’un rare espoir
pour danser dans les ruines des limousines
y a ta b.m qui crame sur le trottoir
dis-toi que c’est beau comme un choeur d’orphelines
quand la banlieue descendra sur la ville
quand la banlieue descendra sur la ville
mercenaires de lilith contre miliciens d’ève
dans la fumée des incendies sanglants
la rue s’effondre & le peuple se lève
& j’avoue que ça me laisse pas indifférent
je débouche un autre vieux corton-charlemagne
en compagnie de ravissantes call-girls
qui fument joyeuses en dégrafant leurs pagnes
de la sinsémilla dans mon brûle-gueule
quand la banlieue descendra sur la ville
pour la grande razzia des parias
quand la banlieue descendra sur la ville
pour le grand basta des rastas
Victor Hugo, Les Misérables, t.3, chap.XI, 1862.
Liberté, à l’oreille des abolitionnistes américains groupés au bac de Harper’s Ferry, et à l’oreille des patriotes d’Ancône assemblés dans l’ombre aux Archi, devant l’auberge Gozzi, au bord de la mer ; il crée Canaris ; il crée Quiroga ; il crée Pisacane ; il rayonne le grand sur la terre ; c’est en allant où son souffle les pousse que Byron meurt à Missolonghi et que Mazet meurt à Barcelone ; il est tribune sous les pieds de Mirabeau et cratère sous les pieds de Robespierre ; ses livres, son théâtre, son art, sa science, sa littérature, sa philosophie, sont les manuels du genre humain ; il a Pascal, Régnier, Corneille, Descartes, Jean-Jacques, Voltaire pour toutes les minutes, Molière pour tous les siècles ; il fait parler sa langue à la bouche universelle, et cette langue devient verbe ; il construit dans tous les esprits l’idée de progrès ; les dogmes libérateurs qu’il forge sont pour les générations des épées de chevet, et c’est avec l’âme de ses penseurs et de ses poètes que sont faits depuis 1789 tous les héros de tous les peuples ; cela ne l’empêche pas de gaminer ; et ce génie énorme qu’on appelle Paris, tout en transfigurant le monde par sa lumière, charbonne le nez de Bouginier au mur du temple de Thésée et écrit Crédeville voleur sur les Pyramides.
Tel est ce Paris. Les fumées de ses toits sont les idées de l’univers. Tas de boue et de pierres si l’on veut, mais, par-dessus tout, être moral. Il est plus que grand, il est immense. Pourquoi ? parce qu’il ose.
Leonard Cohen, Stories Of The Street
The stories of the street are mine,the Spanish voices laugh.
The Cadillacs go creeping now through the night and the poison gas,
and I lean from my window sill in this old hotel I chose,
yes one hand on my suicide, one hand on the rose.
I know you’ve heard it’s over now and war must surely come,
the cities they are broke in half and the middle men are gone.
But let me ask you one more time, O children of the dusk,
All these hunters who are shrieking now oh do they speak for us?
And where do all these highways go, now that we are free?
Why are the armies marching still that were coming home to me?
O lady with your legs so fine O stranger at your wheel,
You are locked into your suffering and your pleasures are the seal.
The age of lust is giving birth, and both the parents ask
the nurse to tell them fairy tales on both sides of the glass.
And now the infant with his cord is hauled in like a kite,
and one eye filled with blueprints, one eye filled with night.
O come with me my little one, we will find that farm
and grow us grass and apples there and keep all the animals warm.
And if by chance I wake at night and I ask you who I am,
O take me to the slaughterhouse, I will wait there with the lamb.
With one hand on the hexagram and one hand on the girl
I balance on a wishing well that all men call the world.
We are so small between the stars, so large against the sky,
and lost among the subway crowds I try to catch your eye.
Nanni Moretti, Caro Diario, 1993
MORETTI (voce fuoricampo): Voi gridavate cose orrende e violentissime, e voi siete imbruttiti. Io gridavo cose giuste, e ora sono uno splendido quarantenne. Sì, la cosa che mi piace più di tutte è vedere le case, vedere i quartieri, e il quartiere che mi piace più di tutti è la Garbatella. E me ne vado in giro per i lotti popolari. Però non mi piace vedere solo le case dall’esterno, ogni tanto mi piace vedere anche come sono fatte dentro. E allora suono un citofono, e faccio finta di fare un sopralluogo, e dico che sto preparando un film. Il padrone di casa mi chiede: « Di che parla questo film? ». E io non so che dire.
MORETTI: Cos’è questo film? È la storia di un pasticcere, trotzkista… Un pasticcere trotzkista nell’ltalia degli anni ’50, è un film musicale. Un musical.
MORETTI (voce fuoricampo): Però, mica male il musical sul pasticcere trotzkista nell’ltalia conformista degli anni ’50. E andando in Vespa mi piace anche fermarmi a guardare gli attici dove mi piacerebbe abitare. Mi immagino di ristrutturare appartamenti su in alto che vedo dalla strada, ma appartamenti che i proprietari non hanno nessuna intenzione di vendere. Un giorno poi un attico che mi sembrava più accessibile di altri io e Silvia siamo anche saliti a vederlo. Abbiamo chiesto quanto costava e ci hanno risposto dieci milioni a metro quadro. Come dieci milioni al metro quadro? E dice, sì ma non si può fare un discorso di tanto a metro quadro perché via Dandolo è una via storica, ha detto il proprietario, qui Garibaldi ci ha fatto la resistenza. Non lo so, non riesco a capire, sarò malato, ma io amo questo ponte. Ci devo passare almeno due volte al giorno.
MORETTI: Sa cosa stavo pensando? Io stavo pensando una cosa molto triste. Cioè che io, anche in una società più decente di questa, mi ritroverò sempre con una minoranza di persone. Ma non nel senso di quei film dove c’è un uomo e una donna che si odiano, si sbranano su un’isola deserta perché il regista non crede nelle persone… Io credo nelle persone. Però non credo nella maggioranza delle persone. Mi sa che mi troverò sempre d’accordo e a mio agio con una minoranza…
AUTOMOBILISTA: Vabbè, auguri.
(Voir ici aussi)
Paul Auster, City of Glass, 1987
He read many books, he looked at paintings, he went to the movies. In the summer he watched baseball on television; in the winter he went to the opera. More than anything else, however, what he liked to do was walk. Nearly every day, rain or shine, hot or cold, he would leave his apartment to walk through the city – never really going anywhere, but simply going wherever his legs happened to take him.
New York was an inexhaustible space, a labyrinth of endless steps, and no matter how far he walked, no matter how well he came to know its neighbourhoods and streets, it always left him with the feeling of being lost. Lost, not only in the city, but within himself as well. Each time he took a walk, he felt as though he were leaving himself behind, and by giving himself up to the movement of the streets, by reducing himself to a seeing eye, he was able to escape the obligation to think, and this, more than anything else, brought him a measure of peace, a salutary emptiness within. The world was outside of him, around him, before him, and the speed with which it kept changing made it impossible for him to dwell on any one thing for very long. Motion was of the essence, the act of putting one foot in front of the other and allowing himself to follow the drift of his own body. By wandering aimlessly, all places became equal and it no longer mattered where he was. On his best walks, he was able to feel that he was nowhere. And this, finally, was all he ever asked of things: to be nowhere. New York was the nowhere he had built around himself, and he realized that he had no intention of ever leaving it again.
Balzac, Ferragus, chef des Dévorants, 1833
Il est dans Paris certaines rues déshonorées autant que peut l’être un homme coupable d’infamie ; puis il existe des rues nobles, puis des rues simplement honnêtes, puis de jeunes rues sur la moralité desquelles le public ne s’est pas encore formé d’opinion ; puis des rues assassines, des rues plus vieilles que de vieilles douairières ne sont vieilles, des rues estimables, des rues toujours propres, des rues toujours sales, des rues ouvrières, travailleuses, mercantiles. Enfin, les rues de Paris ont des qualités humaines, et nous impriment par leur physionomie certaines idées contre lesquelles nous sommes sans défense. Il y a des rues de mauvaise compagnie où vous ne voudriez pas demeurer, et des rues où vous placeriez volontiers votre séjour. Quelques rues, ainsi que la rue Montmartre, ont une belle tête et finissent en queue de poisson. La rue de la Paix est une large rue, une grande rue ; mais elle ne réveille aucune des pensées gracieusement nobles qui surprennent une âme impressible au milieu de la rue Royale, et elle manque certainement de la majesté qui règne dans la place Vendôme. Si vous vous promenez dans les rues de l’île Saint-Louis, ne demandez raison de la tristesse nerveuse qui s’empare de vous qu’à la solitude, à l’air morne des maisons et des grands hôtels déserts. Cette île, le cadavre des fermiers-généraux, est comme la Venise de Paris. La place de la Bourse est babillarde, active, prostituée ; elle n’est belle que par un clair de lune, à deux heures du matin : le jour, c’est un abrégé de Paris ; pendant la nuit, c’est comme une rêverie de la Grèce. […] Ces observations, incompréhensibles au delà de Paris, seront sans doute saisies par ces hommes d’étude et de pensée, de poésie et de plaisir qui savent récolter, en flânant dans Paris, la masse de jouissances flottantes, à toute heure, entre ses murailles ; par ceux pour lesquels Paris est le plus délicieux des monstres : là, jolie femme ; plus loin, vieux et pauvre ; ici, tout neuf comme la monnaie d’un nouveau règne ; dans ce coin, élégant comme une femme à la mode. Monstre complet d’ailleurs ! Ses greniers, espèce de tête pleine de science et de génie ; ses premiers étages, estomacs heureux ; ses boutiques, véritables pieds ; de là partent tous les trotteurs, tous les affairés. Eh ! quelle vie toujours active a le monstre ? A peine le dernier frétillement des dernières voitures de bal cesse-t-il au cœur que déjà ses bras se remuent aux Barrières, et il se secoue lentement. Toutes les portes bâillent, tournent sur leurs gonds, comme les membranes d’un grand homard, invisiblement manœuvrées par trente mille hommes ou femmes, dont chacune ou chacun vit dans six pieds carrés, y possède une cuisine, un atelier, un lit, des enfants, un jardin, n’y voit pas clair, et doit tout voir. Insensiblement les articulations craquent, le mouvement se communique, la rue parle. A midi, tout est vivant, les cheminées fument, le monstre mange ; puis il rugit, puis ses mille pates s’agitent. Beau spectacle ! Mais, ô Paris ! qui n’a pas admiré tes sombres paysages, tes échappées de lumière, tes culs-de-sac profonds et silencieux ; qui n’a pas entendu tes murmures, entre minuit et deux heures du matin, ne connaît encore rien de ta vraie poésie, ni de tes bizarres et larges contrastes. Il est un petit nombre d’amateurs, de gens qui ne marchent jamais en écervelés, qui dégustent leur Paris, qui en possèdent si bien la physionomie qu’ils y voient une verrue, un bouton, une rougeur. Pour les autres, Paris est toujours cette monstrueuse merveille, étonnant assemblage de mouvements, de machines et de pensées, la ville aux cent mille romans, la tête du monde. Mais, pour ceux-là, Paris est triste ou gai, laid ou beau, vivant ou mort ; pour eux, Paris est une créature ; chaque homme, chaque fraction de maison est un lobe du tissu cellulaire de cette grande courtisane de laquelle ils connaissent parfaitement la tête, le cœur et les mœurs fantasques. Aussi ceux-là sont-ils les amants de Paris : ils lèvent le nez à tel coin de rue, sûrs d’y trouver le cadran d’une horloge ; ils disent à un ami dont la tabatière est vide : Prends par tel passage, il y a un débit de tabac, à gauche, près d’un pâtissier qui a une jolie femme. Voyager dans Paris est, pour ces poètes, un luxe coûteux. Comment ne pas dépenser quelques minutes devant les drames, les désastres, les figures, les pittoresques accidents qui vous assaillent au milieux de cette mouvante reine des cités, vêtue d’affiches et qui néanmoins n’a pas un coin de propre, tant elle est complaisante aux vices de la nation française ! A qui n’est-il pas arrivé de partir, le matin, de son logis pour aller aux extrémités de Paris, sans avoir pu en quitter le centre à l’heure du dîner ? Ceux-là sauront excuser ce début vagabond qui, cependant, se résume par une observation éminemment utile et neuve, autant qu’une observation peut être neuve à Paris où il n’y a rien de neuf, pas même la statue posée d’hier sur laquelle un gamin a déjà mis son nom.
Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.
Pour une surprise, c’en fut une. À travers la brume, c’était tellement étonnant ce qu’on découvrait soudain que nous nous refusâmes d’abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu’on était on s’est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous…
Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c’est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.
On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur. Mais on n’en pouvait rigoler nous du spectacle qu’à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose. et rapide et piquante à l’assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s’engouffraient aussi à la charge du vent. Notre galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une eau caca, toute barbotante d’une kyrielle de petits bachots et remorqueurs avides et cornards.
Pour un miteux, il n’est jamais bien commode de débarquer de nulle part mais pour un galérien c’est encore bien pire, surtout que les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens qui viennent d’Europe. C’est tous des anarchistes » qu’ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d’Europe, c’est des fils à Dollar.
J’aurais peut-être pu essayer, comme d’autres l’avait déjà réussi, de traverser le port à la nage et de me mettre à crier : « Vive Dollar ! Vive Dollar ! » C’est un truc. Y a bien des gens qui sont débarqués de cette façon-là et qui après ça on fait des fortunes. C’est pas sûr, ça se raconte seulement. Il en arrive dans les rêves des biens pires encore. Moi j’avais une autre combinaison en tête, en même temps que la fièvre.
Il faut la suite du texte de Céline! le paragraphe avec les poux, tout ça…!
Je n’ai pas le texte à NY, j’ai donc dû me contenter de bribes retrouvées sur internet à partir de ma mémoire incertaine… Mais le principe de cette page c’est qu’elle va changer, il y aura d’autres textes, d’autres errances urbaines…
L’Amsterdam de La chute?
Bonne idée, il faudrait que je le relise, ça fait des années…
Ya toujours pas la suite de Céline! (en revanche les nouveaux textes sont super beaux), et puis le Voyage c’est 1932 ;)