Des mots croisés (ou Les vicissitudes des loisirs de vacances)

Malgré tous les indicateurs, c’est l’été – si vous êtes à Paris vous voyez de quoi je parle – j’ai chopé une ANGINE un 27 juillet la lose magistrale. J’ai néanmoins décidé de ne pas me laisser abattre par l’adversité car certes le monde m’en veut mais je surmonterai les obstacles qui se dressent sur ma route (et surtout les quolibets de mon entourage, à qui je voudrais en profiter pour leur dire solennellement que je les emmerde). J’adopte donc un comportement totalement adapté aux vacances (mon côté caméléon est particulièrement affûté en matière de glande), bien que je doive me contenter de mon canapé voire de mon lit, lieux que je dédaigne habituellement tant je suis une personne hyperactive (je préfère nettement la baignoire).

Ainsi, pour compléter le tableau, il fallait se trouve une activité de l’été. Après avoir éclusé tous les magazines féminins disponibles, et appris que c’était pas bien de discriminer les gros, mais qu’il fallait perdre trois kilos en deux semaines (autant dire s’arrêter de bouffer autre chose que des brocolis, ce qui est non seulement mauvais pour la santé mais aussi pour le salut de l’humanité, car ne nous voilons pas la face les brocolis c’est dégueulasse), je me suis retrouvée face aux CAHIERS DE VACANCES.

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Par Soledad Bravi

Les jeux solitaires sur la plage (plage certes tout à fait imaginaire pour l’instant, mais qu’importe, vive le pouvoir de l’imagination) doivent rester avouables, c’est pourquoi il est nécessaire de se pencher sur cette industrie qui n’est sans doute pas étrangère à la mémorable baisse de QI de l’intelligence de notre nation, même si Cyril Hanouna y joue sans doute un rôle ainsi que Candy Crush (si quelqu’un pouvait m’expliquer le sens et l’intérêt de ce jeu stupide, cela résoudrait certains de mes problèmes de couple, merci). En effet, la plupart de ces jeux sur papier sont rien moins que débilitants.

D’abord, je pense bien évidemment au Sudoku. J’étais pour ma part une excellente élève en mathématiques, bien que j’ai constaté récemment que j’avais totalement oublié en quoi consistait une règle de trois – mais vraiment, que faire d’une règle de trois dans la vie quand on a internet ? Le sudoku est un jeu apparu pour la première fois dans un journal français (contrairement à la croyance populaire et à sa dénomination fallacieuse – mais le japonais ça fait vendre), et pas n’importe lequel, un journal monarchiste. Coïncidence ? Je ne crois pas. Remplir des cases de chiffres, fallait vraiment y penser. Si vous voulez mon avis, il faut être au bout de sa vie pour trouver un chiffre qui ne soit ni un 4 ni un 3, mais pas non plus un 2 mais pas un 9 à cause de la 3ème colonne. Pitié. On se croirait à une revue militaire en train de battre la mesure. Et qu’est-ce que t’en fais, de ta grille de chiffres ? Tu la suspends au mur peut-être ? Non vraiment, le sudoku, y a pas moyen.

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Personnellement, en matière de jeux de plage, j’ai un rêve (oui, j’ai un rêve de jeu de plage, laissez-moi vivre), les mots croisés. Pourquoi ? Parce que ça vous donne tout de suite une aura d’intellectuel (qu’on ne s’imagine pas que je suis une personne désintéressée ou même sérieuse, tout ce qui m’intéresse c’est d’avoir l’air intelligente). On me rétorquera qu’il ne s’agit pas vraiment d’un jeu de plage et qu’il faut un peu bosser pour être un véritable cruciverbiste (déjà le nom, ça se la pète grave ; quel délice !). Il est vrai, et c’est bien tout mon problème. Tout travail, en effet, me rebute. Les mots croisés répondent à une obscure logique de la définition, pleine de jeux de mots et de références obscures, qui sont plus incompréhensibles pour moi qu’une messe noire célébrée par une chèvre. D’ailleurs, à la base, je suis nulle en jeux de mots. Rien qui ne me mette plus en rage que les contrepèteries du Canard Enchaîné, et que de voir mon ex rire aux éclats en les lisant. Connard. Je l’ai largué aussi sec. Tout cela explique pourquoi, hélas, les mots croisés sont un véritable défi contre moi-même, défi qui me semble extrêmement fatiguant à relever.

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ENFIN! Avoir l’air intelligent et respectable!!

Il est en effet nécessaire de se concentrer de manière répétitive et durant un temps long et indéterminé pour parvenir à trouver les solutions de problèmes aussi absurdes que « coule en Croatie » en deux lettres – et le plus énervant c’est encore les commentaires des jaloux « mais quoi tu ne connais pas la réponse alors que t’es prof ? », ben ouais les mecs je ne connais pas le nom de tous les fleuves croates, ni même d’ailleurs la localisation exacte de la Croatie, déjà je maîtrise à peu près le trajet entre chez moi et mon lieu de travail c’est pas mal, même si Dieu merci google trouve la réponse en deux secondes. Non, l’ennui c’est les définitions qui ne sont pas référencées sur google (pourtant l’ami des nuls en mots croisés) – par exemple dans les mots croisés du Monde (il faut bien rentabiliser l’abonnement de mon mec, le dernier gars de moins de trente quarante ans à lire la chose dans sa version papier – et après il faut l’écouter se plaindre de son grand âge alors qu’il se comporte comme un pépé de soixante-dix ans) on compte à peu près 9 définitions introuvables sur 10. « Tube de rouge » en 14 lettres, « internationale ». De qui se moque-t-on ? Qu’en penserait Staline ? 15 ans de goulag oui ! Et ça fait rire les gens. Décadence.

Le pire, c’est que mes grilles au tiers remplies finissent par traîner à côté des chiottes, ce qui finit par causer l’hilarité des autres membres du ménage (notamment un colocataire admis à bénéficier de ma bienfaisante proximité par pure bonté d’âme) : « Ah oui dis-donc, t’es vraiment paresseuse, si c’est pas fait en 10 minutes tu lâches l’affaire ». Des nuages noirs s’amoncellent autour de ta tête, vil calomniateur !

Tout cela, j’imagine, au nom d’un pseudo culte de l’effort, ou des valeurs surévaluées de l’intelligence et de la culture. Il va sans dire que les vrais cruciverbistes méprisent copieusement ceux qui ont recours à ce genre de stratagèmes (encore des passéistes bloqués sur des principes d’un autre âge) ; le vrai problème, de toute façon, ce sont les trois semaines de vacances à venir sans wi-fi. À cette seule idée mon sang se glace.

Résultat, je fais des mots fléchés et je passe pour une teubé même si j’achète les cahiers « difficulté extrême ». On vit vraiment dans un monde intolérant.

J’ai un mec

Oui, l’info a fuité sur twitter, on ne parle que de ça dans les rooms et les backrooms, c’est l’émoi dans la gent masculine, tous mes plans cul m’ont envoyé des sms incrédules (ou pas, mais passons), c’en était même vexant. Non pas que mon entourage ne veuille pas me croire quand j’annonce que j’ai un mec ; c’est même arrivé plusieurs fois ces dernières années, oui bonnes gens, on n’est pas de bois et on n’est pas non plus la plus dégueulasse des guenipes ; ces hommes n’ont d’ailleurs pas démérité de l’Emmerdeuserie, je ne sais pas s’ils étaient courageux, fous ou juste sourds, mais quelques uns ont tenté de sortir avec moi. L’issue, cependant, en fut lapidaire et sanglante pour diverses raisons plus ou moins légitimes mais non étrangères à mon incapacité fondamentale à laisser un mâle entrer dans ma vie. Mon environnement s’était donc fait, tout comme mes lecteurs je l’imagine, à l’idée que j’étais une incurable vieille fille sans réelle perspective d’engagement. Ce qui, si on est réfléchit, est un poil vexant mais passons encore. Je suis un laideron mais je suis bien bonne, comme dirait l’autre.

Il est vrai que j’avais brouillé les pistes quelques mois semaines jours avant de larguer les amarres et de tout à coup décider de ne plus m’accoupler régulièrement qu’avec un seul homme, puis de lui proposer quelques années mois semaines plus tard d’emménager chez moi, en expliquant à la cantonade à qui voulait l’entendre (et même à qui ne voulait pas l’entendre et s’en torchait royalement) que je n’étais pas prête à me mettre en couple, que j’allais congeler mes ovules et que ces gens qui s’engageaient en deux coups de cuiller à pot étaient vraiment bizarres même si certes à trente ans les choses vont plus vite qu’à vingt.

Sans doute l’effet de la Saint Valentin. Il ne m’a même pas offert de fleurs, le bougre, juste il m’a emmenée voir une pièce de théâtre quasiment sans parole écrite par une autiste. LE GRAND JEU. Bon, on est quand même allés boire des Spritz après (ceci étant peut-être une explication plus plausible).

Je lui ai dit Reste dormir et, miracle, il est resté.

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Cœur avec les doigts

Passé ce bref moment d’émotion bien légitime et les pleurs de ma grand-mère qui pensait que « vraiment y avait plus d’espoir », il s’agit de s’installer brusquement de la condition chronique d’une célibataire endurcie charmante et fantaisiste à l’inconfort résiduel de l’installation en couple – et je ne parle même pas de l’opilation chronique suscitée par sa présence (vous ne connaissez pas « opilation » ? c’est exprès, je voulais pas être trop vulgaire, cherchez dans le dictionnaire, ça fera une petite « mise en activité » comme le dit mon Ministère de tutelle) ni de l’impatience avec laquelle je me jette sur ma pince à épiler dès qu’il sort de l’appart (oui, j’aime à m’épiler à la pince dans mes moments perdus), toutes choses nécessaires afin de « préserver le désir » comme ils disent dans les magazines féminins, alors je fais comme ils disent parce que moi je ne sais plus, la dernière fois c’était il y a sept ans, bon sang.

Évidemment, le plus compliqué c’est qu’il prend de la place : pour pouvoir ranger ses costards, ses chemises et ses polos (je souffre rien qu’à écrire ce mot, mais à ce qu’il paraît le couple c’est des compromis), j’ai dû balancer 20 kilos de fringues chez Emmaüs. Ah ouiche y en a qui ont dû être contents, quand je pense à ce magnifique boléro rouge et noir des années 80, certes porté une fois durant les cinq dernières années mais ON NE SAIT JAMAIS. Déchirement. Il y a des embauchoirs partout sur les étagères, et des légumes parce que le dimanche matin il fait le marché (oui je sais, il est vraiment génial, et en plus il fait merveilleusement bien à bouffer merci les kilos). Le plus choquant, c’est qu’il possède un nombre fantastique de cédés. Oui, de CD.

Oui, j’ai rencontré le dernier homme sur terre qui écoute encore la musique sur des CD.

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Et encore t’as pas vu les CD du groupe Wookie Jesus.

Et en plus il les écoute dans l’ORDRE DU DISQUE. Même pas il aurait pu faire le hipster et se mettre aux vinyles, cet homme est insensible aux modes et trouve les bobos assez ridicules (ainsi que mes sandales à semelles de bois j’imagine, mais je n’ai pas fait la folie de lui demander). Résultat j’ai dû taper pour la première fois de ma pourtant longue et éclectique existence le mot « range-cd » dans google. Un peu comme si Pac Man rencontrait Assassin’s Creed. L’expérience de l’extrême. Je vous dis pas comment il va rendre, le RANGE-CD, dans mon intérieur scandinave. Ce qui m’étonne c’est que ce genre d’objets soit encore en vente : sans doute pour répondre aux besoins de Papi Mougeot.

Le truc vraiment mystérieux c’est qu’il lit le journal PAPIER tous les jours (oui je sais, mon mec c’est comme une photo du Chasseur français spécial Gentlemen du siècle dernier) (mais il est beau quand même), et ça lui prend un temps fou. Il veut se renseigner, qu’il dit. Mouais. J’ai surtout tendance à penser que c’est une manœuvre dilatoire destinée à éviter mes bavardages fascinants, quoique peut-être un poil longs et itératifs. D’ailleurs quand je lui demande « Alors quelles nouvelles ? Que se passe-t-il d’important dans le monde ? » (parce qu’une demi-heure ça va bien pour lire ce torchon capitaliste) il finit invariablement par répondre « Rien de spécial. »

Bon sang, il en a déjà marre.

Je le savais que ça ne pouvait pas durer.