De la pouffe

En mettant la dernière main à la fameuse playlist Pouffissima absoluta qui retentit en boucle à fond les ballons dans la cabine du Monster truck pour célébrer la nouvelle année, la lonesome camionneuse se trouve une nouvelle fois face à un concept riche et profond : la pouffitude. Abîmes de la pensée et du vocabulaire, il faut vous convoquer ici, et triturer un peu ce que parler de pouffe veut dire. C’est un peu comme l’appel du Nord, on ressent parfois de ces urgences langagières, de ces pulsions que seule l’écoute de Britney, Christina et Shakira peuvent susciter. Figures tutélaires de la pouffitude du XXIe siècle, merci.

Pouffes et pouffiasses font bien évidemment retentir le bibelot d’inanité sonore d’un tabouret obèse et vil (pouf-fi-asse) (c’est assez clair ce me semble) : le pouf bouffi salace  – la pouffe serait donc une femme sur laquelle on s’assied aisément, commode abréviation post-moderne du substantif pouffiasse, dont les syllabes s’allongent avec un peu plus d’alanguissement. On songe à une origine lointaine dans une colonie perdue, où fez et babouches font retentir l’appel du pouf derrière la moustiquaire. Mais enfin, toute littéraire, proustienne et néo-coloniale que puisse se révéler la pouffiasse, réjouissons-nous, son vocable est encore bien vivant.

La pouffe entretient une relation avec la prostitution, quoique relativement lointaine car le tarifage n’est pas forcément son rayon – il s’agirait plutôt d’une propension, d’une tendance à ouvrir les guiboles sans discernement. Générosité féminine bien compréhensible, quand on voit de quel poids dans l’existence est accablée la gent masculine : le travail, l’argent, les soucis, le bistro, le choix de la cravate, la perte de cheveux. Leur existence est un calvaire à temps plein. Il est bien normal que la pouffe, bienveillante et miséricordieuse, les aide à se remettre de ce fléau de Dieu qu’est la masculinité.

La pouffe, quoi qu’il en soit, ne trompe jamais sur la marchandise (à part un ou deux soutifs pigeonnants par-ci par-là), sain principe d’honnêteté que Lonesome Camionneuse a fait sien depuis longtemps (il n’y a que Sneaky Princess pour trouver acceptable les jupes sous le genou). La pouffe va donc court vêtue, le talon élevé, la mamelle en liberté, et laisse saillir ses appas telle une figure fellinienne et tentatrice. Elle est plutôt blonde (les clichés ont la vie dure, et la teinture n’est pas donnée, hélas) et manucurée. Souvent, la pouffe se complaît également dans un retour à l’enfance (prédilection pour le rose, couettes, sucettes à l’anis) (a-t-elle bien compris de quoi il s’agissait ? nul ne le sait vraiment). Pensez Barbie, à guichets ouverts. Bien entendu, elle n’a aucune prétention intellectuelle car, pfffff, à quoi cela servirait-il, elle va se trouver un mari riche qui lui paiera ses manucures (en cela la pouffe a quelque semblance avec Sneaky Princess, voyez que tout est toujours plus compliqué que cela n’en a l’air) (que c’est fatiguant !) Néanmoins, si l’envie lui en prend, elle peut se transformer en redoutable avocate d’affaires issue des grandes universités (cf. l’excellent film Legally Blonde, qui traite cette question en détail) (certaines abdiquent néanmoins cette option leur vie durant, BB à leur tête) (réfléchir, belle perte de temps que voilà !).

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Distinguons enfin, pour la bonne compréhension de la chose et la précision du vocabulaire, la pouffe de la connasse et de la radasse (source : Divine Marquise). La pouffiasse est donc jeune et légère et somme toute inoffensive dans son ethos, mais hélas la guette au coin du temps qui passe la date de péremption, terrible redéfinition ontologique de sa personne : la pouffe vieillit mal. La connasse, elle, est une cruauté qui va : « éternelle gagnante de la rivalité féminine au devenir de couguar assuré, son but est de mettre les hommes à ses pieds pour leur ravager la gueule à coup de talon-aiguille » (Divine Marquise, Oeuvres complètes, vol.36, p.69). La connasse est ainsi souvent une ancienne wannabe pouffiasse qui a raté sa jeunesse. Le temps de la revanche a sonné.

Entre ces deux tutélaires figures de la féminité (enviable condition que celle de femme, décidément) existe un entre-deux, que notre source encyclopédique a nommé purgatoire de la radasserie. Trop bête, trop grosse, pas assez fatale, la radasse est une pouffiasse vieillissante qui essaie de transcender la connerie et l’âge pour accéder au sublime connassien… mais en vain… il y a un aspect profondément tragique chez la radasse (qui vieillit encore plus mal que la pouffiasse et doit se consoler avec des litres et des litres d’Häagen-dasz). (Divine Marquise, Œuvres complètes, vol. 1, p.567) La radasse est une figure tragique, ce qui peut la rendre sympathique : elle attire ainsi dans ses filets de gentilles filles compatissantes, et pan ! « la radasse en manque de glace grasse et de consolation peut fort bien se taper le mec de son amie complaisante… la radasse aime les hommes plus que ses amies, c’est un grave problème » (Divine Marquise, Œuvres complètes, vol. 1, p. 999). Femina feminae lupa, ne l’oublions jamais. Prudence est mère de sûreté. Pour finir, la cagole est la pouffe du Sud : ajoutez un accent marseillais rocailleux et quelques chaînes en or et vous y êtes.

De fait, toute femme a sa part de pouffiasse en elle, comme l’illustrent bien ces quelques vers de chants pouffiassiques : Boys may come and boys may go / And that’s all right you see / Experience has made me rich / And now they’re after me, ’cause everybody’s / Living in a material world / Girls just wanna have fun / It’s raining men / All the lovers / Papa don’t preach / Comme disait Mistinguett / Eve lève-toi / Call me / Girl gone wild / Freed from desire / Et j’vis comme une boule de flipper / Qui roule.

Ce qui donnerait en traduction simultanée: Les mecs vont et viennent / Mais attends c’est trop pas un problème / L’expérience m’a rendue riche / Et maintenant ils veulent tous me pécho / Car tout le monde vit dans un monde matériel / Les filles veulent juste se poiler / Et il pleut des hommes / Tous ces amants / Papa, me fais donc pas la leçon / Like Mistinguett used to say / Rise, Eve / Appelle-moi / Une fille ensauvagée / Libérée du désir / And I live like a pinball / Rolling.

Oui, cette playlist est plutôt puissante et croyez bien que Jean-Sébastien tient la corde mais de justesse.

Qu’on me permette de finir sur une lamentation lexicale : hélas, la pouffiasse n’a point d’équivalent masculin (tout comme la pute d’ailleurs), ce qui est quand même un comble, car si les pauvres garçons ont envie de se balader en short ras-la-touffe, sur des chaussures à plate-forme, en succombant au charme de chaque femelle qui passe car la taille de leur cerveau les empêche de se souvenir de la précédente, pourquoi le leur interdire ? Non, on les affublera du vocable de drag-queen, absolument point adapté dans ce cas précis. Scandale.

Le combat pour l’égalité ne s’arrête jamais.

Barbie fuck

Merci aux Fleurs pour ce post quasi-participatif.

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