Aujourd’hui, victime innocente de l’obsolescence programmée, mon ordinateur est mort.
Enfin mort, façon de parler, car entre deux écrans bleus (AAAAAH, l’écran bleu) et noir (AAAAH l’écran noir), les symptômes de la peste numérique ne trompent pas : il est condamné à décéder dans d’atroces souffrances.
Le mode sans échec est le signe patent de son agonie longue et difficile. Malgré mes paroles de réconfort (allez mon grand, tu peux le faire ! allume-toi, s’te plaît !!) il ne vivote encore que pour jeter ses derniers feux. Mais ils seront splendides : qui peut se vanter de voir son oraison funèbre écrite sur lui-même ? Tout va dans un même lieu; tout a été fait de la poussière, et tout retourne à la poussière.
Hélas, hélas, ce traumatisme du décès de l’ordinateur du thésard, douleur et abomination, atroce sentiment d’abandon et de solitude des espaces infinis.
Pleurons.
Aux premiers symptômes de la maladie mortelle, le thésard pense à lui, égoïste comme chacun en ce triste monde. Mouvement de panique terrifiante : DE QUAND DATE MA DERNIÈRE SAUVEGARDE ? Premier épisode mélodramatique : il se jette sur le sol en se tordant, en se griffant le visage et en s’arrachant les cheveux. Une semaine de boulot perdue, à jamais, dans les abîmes du disque dur (nan je vous rassure comme en ce moment je suis au taquet j’ai tout sauvé in extremis, alleluiah c’est ainsi qu’Allah est grand) (je suis trop forte) (mouvement de joie désordonné et incontrôlé à l’intensité semblable et inverse au mouvement de désespoir ci-dessus décrit).
Mais alors, la première fois que tu vois l’écran bleu et que tu n’as point sauvegardé, que faire ? Lancer, dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, des appels de détresse à tous les initiés de l’informatique susceptibles de tout lâcher pour venir te sauver ; toute minute passée sans sauvegarde, longue comme l’éternité, te coûte en effet un ongle, une livre de chair, une poignée de cheveux. Honneur et gloire au geek aimable qui viendra sauver sous DOS, mystérieux gardien de nos destinées informatiques, les pauvres rogatons de pensée que tu intitules Thèse. Cet homme (car, reconnaissons-le, c’est souvent un homme) acquiert alors la stature du SAUVEUR. Quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise par la suite, même s’il se range un jour sous la bannière de Jean-François Copé ou se met à porter des chemises bleues à col blanc, ta reconnaissance pour ce Messie électronique ne s’éteindra qu’avec le soleil.
Ensuite, alors que sauvegardes et restaurations s’avèrent inutiles et vaines, il faut se rendre à l’évidence. Le temps du deuil est venu. Nous devrions être assez convaincus de notre néant : mais s’il faut des coups de surprise à nos cœurs enchantés de l’amour du monde, celui-ci est assez grand et assez terrible. Ô nuit désastreuse! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : l’ordinateur se meurt, l’ordinateur est mort!
A toi. L’histoire d’une de mes folies.
Toi, qui me fus offert lorsque jeune et folle encore, je voyais la trentaine loin à l’horizon et la thèse à venir luire de l’éclat tentateur de la virtuosité universitaire (déraison, extravagance, calembredaines !)
Toi, cadeau de mes amis, héros qui affrontent contre vents et marées mes blagues graveleuses et mes attaques gratuites.
Toi, blanc et pur comme l’agneau qui vient de naître, élégant et plein de sobriété, toi qui entrais aisément dans une sacoche Dior en cuir restée vu l’état de mes finances à l’état de souhait ardent.
Toi, témoin de mes turpitudes intellectuelles, qui contempla navré mes arborescences folles, de « Mariage mystique » à « Lutte finale » en passant par « Belle par tous les temps » et « Wrestlemania 2012 ».
Toi, impavide et fidèle compagnon de mes navigations sur l’océan de la toile du oueb qui unit absurdités et infamies, fulgurances et ridicules, flots profonds redoutés des mères à genoux. Tu contemplas sans juger mes recherches google les plus absurdes et fut empli de gloire lorsque l’article « modes sexuelles » de ce blogue de la boulasse devint la première occurrence apparaissant sur cet illustre moteur de recherche.
Merci.
Tu finiras, âme ardente, écran éclairage de mes nuits blanches, victime du capitalisme honni, à la déchetterie de La Chapelle, sous les voies du métro. Repose en paix, tandis que passent les trains, que ruminent les vaches et que fument les moquettes. Je m’en jetterai quelques uns à ta santé.
Adieu.