J’ai un mec

Oui, l’info a fuité sur twitter, on ne parle que de ça dans les rooms et les backrooms, c’est l’émoi dans la gent masculine, tous mes plans cul m’ont envoyé des sms incrédules (ou pas, mais passons), c’en était même vexant. Non pas que mon entourage ne veuille pas me croire quand j’annonce que j’ai un mec ; c’est même arrivé plusieurs fois ces dernières années, oui bonnes gens, on n’est pas de bois et on n’est pas non plus la plus dégueulasse des guenipes ; ces hommes n’ont d’ailleurs pas démérité de l’Emmerdeuserie, je ne sais pas s’ils étaient courageux, fous ou juste sourds, mais quelques uns ont tenté de sortir avec moi. L’issue, cependant, en fut lapidaire et sanglante pour diverses raisons plus ou moins légitimes mais non étrangères à mon incapacité fondamentale à laisser un mâle entrer dans ma vie. Mon environnement s’était donc fait, tout comme mes lecteurs je l’imagine, à l’idée que j’étais une incurable vieille fille sans réelle perspective d’engagement. Ce qui, si on est réfléchit, est un poil vexant mais passons encore. Je suis un laideron mais je suis bien bonne, comme dirait l’autre.

Il est vrai que j’avais brouillé les pistes quelques mois semaines jours avant de larguer les amarres et de tout à coup décider de ne plus m’accoupler régulièrement qu’avec un seul homme, puis de lui proposer quelques années mois semaines plus tard d’emménager chez moi, en expliquant à la cantonade à qui voulait l’entendre (et même à qui ne voulait pas l’entendre et s’en torchait royalement) que je n’étais pas prête à me mettre en couple, que j’allais congeler mes ovules et que ces gens qui s’engageaient en deux coups de cuiller à pot étaient vraiment bizarres même si certes à trente ans les choses vont plus vite qu’à vingt.

Sans doute l’effet de la Saint Valentin. Il ne m’a même pas offert de fleurs, le bougre, juste il m’a emmenée voir une pièce de théâtre quasiment sans parole écrite par une autiste. LE GRAND JEU. Bon, on est quand même allés boire des Spritz après (ceci étant peut-être une explication plus plausible).

Je lui ai dit Reste dormir et, miracle, il est resté.

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Cœur avec les doigts

Passé ce bref moment d’émotion bien légitime et les pleurs de ma grand-mère qui pensait que « vraiment y avait plus d’espoir », il s’agit de s’installer brusquement de la condition chronique d’une célibataire endurcie charmante et fantaisiste à l’inconfort résiduel de l’installation en couple – et je ne parle même pas de l’opilation chronique suscitée par sa présence (vous ne connaissez pas « opilation » ? c’est exprès, je voulais pas être trop vulgaire, cherchez dans le dictionnaire, ça fera une petite « mise en activité » comme le dit mon Ministère de tutelle) ni de l’impatience avec laquelle je me jette sur ma pince à épiler dès qu’il sort de l’appart (oui, j’aime à m’épiler à la pince dans mes moments perdus), toutes choses nécessaires afin de « préserver le désir » comme ils disent dans les magazines féminins, alors je fais comme ils disent parce que moi je ne sais plus, la dernière fois c’était il y a sept ans, bon sang.

Évidemment, le plus compliqué c’est qu’il prend de la place : pour pouvoir ranger ses costards, ses chemises et ses polos (je souffre rien qu’à écrire ce mot, mais à ce qu’il paraît le couple c’est des compromis), j’ai dû balancer 20 kilos de fringues chez Emmaüs. Ah ouiche y en a qui ont dû être contents, quand je pense à ce magnifique boléro rouge et noir des années 80, certes porté une fois durant les cinq dernières années mais ON NE SAIT JAMAIS. Déchirement. Il y a des embauchoirs partout sur les étagères, et des légumes parce que le dimanche matin il fait le marché (oui je sais, il est vraiment génial, et en plus il fait merveilleusement bien à bouffer merci les kilos). Le plus choquant, c’est qu’il possède un nombre fantastique de cédés. Oui, de CD.

Oui, j’ai rencontré le dernier homme sur terre qui écoute encore la musique sur des CD.

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Et encore t’as pas vu les CD du groupe Wookie Jesus.

Et en plus il les écoute dans l’ORDRE DU DISQUE. Même pas il aurait pu faire le hipster et se mettre aux vinyles, cet homme est insensible aux modes et trouve les bobos assez ridicules (ainsi que mes sandales à semelles de bois j’imagine, mais je n’ai pas fait la folie de lui demander). Résultat j’ai dû taper pour la première fois de ma pourtant longue et éclectique existence le mot « range-cd » dans google. Un peu comme si Pac Man rencontrait Assassin’s Creed. L’expérience de l’extrême. Je vous dis pas comment il va rendre, le RANGE-CD, dans mon intérieur scandinave. Ce qui m’étonne c’est que ce genre d’objets soit encore en vente : sans doute pour répondre aux besoins de Papi Mougeot.

Le truc vraiment mystérieux c’est qu’il lit le journal PAPIER tous les jours (oui je sais, mon mec c’est comme une photo du Chasseur français spécial Gentlemen du siècle dernier) (mais il est beau quand même), et ça lui prend un temps fou. Il veut se renseigner, qu’il dit. Mouais. J’ai surtout tendance à penser que c’est une manœuvre dilatoire destinée à éviter mes bavardages fascinants, quoique peut-être un poil longs et itératifs. D’ailleurs quand je lui demande « Alors quelles nouvelles ? Que se passe-t-il d’important dans le monde ? » (parce qu’une demi-heure ça va bien pour lire ce torchon capitaliste) il finit invariablement par répondre « Rien de spécial. »

Bon sang, il en a déjà marre.

Je le savais que ça ne pouvait pas durer.

Du repassage

À vrai dire, je m’étonne de ne pas avoir écrit plus tôt sur ce sujet fondamental. Mais par ce temps ensoleillé de printemps où tout le monde se fout à oilpé dans les parcs avec un sans-gêne qui frise l’inélégance et offusque les plus bienséants d’entre nous, dont je suis, la pudeur est mon moindre défaut, gens impudiques, donc, qui discriminent en outre avec violence les honnêtes femmes qui se lèvent vers 14 heures et trouvent alors toutes les terrasses de café colonisées (nombre y emmènent même leurs enfants), par ce temps d’indécence et d’égoïsme impitoyable, il est temps d’expier, de souffrir, et de parler repassage. Ne croyez pas que je m’éloigne de mon sujet, quoi qu’il m’arrive de temps à autre, je le confesse, de digresser. Sacrifice nécessaire aux méandres de l’Être, qui prend son temps mais n’en rejoint pas moins la mer même si les chenaux sont parfois violemment anastomosés.

Considérez ainsi, je vous prie, que les gens, et les enfants en particulier, sont étroitement liés au repassage : en effet, les gamins sont une source de désordre quand le repassage est, lui, un rempart contre l’entropie. On pourrait ainsi légitimement penser qu’aimer l’un c’est détester l’autre, et inversement. Grossière erreur. L’un comme l’autre me sont ainsi, en théorie, sympathiques mais, dans le réel, plutôt désagréables. Retenez vos chars, vous qui allez me traiter tout de go de vieille fille aigrie : j’aime beaucoup les enfants mais quand ils font partie de ma famille, sinon c’est quand même des petites machines à bouffer, à crier et à demander Pourquoi. Quant au repassage, rien que de positif là-dedans, si l’on reste dans le théorétique : des vêtements défroissés et propres, une femme blanche et blonde qui sourit dans son salon en cuir blanc au milieu d’une pub Fébrèze, le truc qui t’envenime tellement les bronches que tu as l’impression d’être dans un océan olfactif de « douceur de lavande océane à la soupline de fibres de soie » bref, que du bonheur.

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Joie et épanouissement

L’ennui (ou les ennuis, plutôt, car il y en a plusieurs), c’est que c’est fatiguant, d’abord. Il faut : sortir la planche à repasser qui est coincée de manière totalement impossible entre les chiottes et le mur, découvrir à cette occasion qu’il y a des moisissures sur le mur, jurer, se dire qu’il faudrait nettoyer le mur, penser au ménage qui s’ensuivrait (parce que si tu nettoies le mur c’est ouvrir la boîte de Pandore), se dire que tu préfères le ménage à ta façon, qui consiste depuis deux mois à ramasser les moutons qui traînent et à pester contre les paillettes que tu as foutu partout dans l’appart avec ton tutu neuf pailleté (qui n’a, lui, pas besoin d’être repassé Dieu merci), te dire que tu es une déplorable femme d’intérieur et que c’est pas comme ça que tu vas pécho, te dire que c’est pas possible de réfléchir en des termes aussi machistes, enfin entamer un cercle vicieux de réflexions déprimantes, voire nocives.

Si l’on pousse ces réflexions à leur suite logique, il faut faire le constat de ton inadaptabilité congénitale à être une bonne ménagère. Tandis que tu fais chauffer le fer posé n’importe comment sur la table et que ta nappe commence à sentir dangereusement le roussi, tu regardes perplexe la bouteille d’eau déminéralisée que tu as achetée sur les conseils de ta mère, sans oser tout de même l’appeler (à 35 ans, merde) pour lui demander comment ça se fait qu’au lieu de produire un élégant nuage de vapeur comme quand elle utilise son fer (ou sa centrale vapeur, ma mère est une personne très versée dans les affaires de bonne tenue du ménage, et d’ailleurs un petit message : pas d’inquiétude pour le ménage Maman, n’oublions pas que s’exposer aux bactéries c’est bon pour la santé ça me permet de construire des défenses naturelles en béton), ton engin s’obstine à crachoter de l’eau partout, du coup t’as peur d’en mettre parce qu’on dirait que ça fuit, et même parfois ça fait des traces brunâtres, du coup t’as changé de fer mais c’est toujours la même merde, du coup tu repasses sans vapeur et ça marche moyen, sans déconner l’électroménager te hait, injustice du monde, et BAM re – le cycle de pensées négatives.

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KILL ME NOW.

D’ailleurs, soyons lucides : je ne sais pas repasser. Et puis ça chauffe, c’est dangereux, surtout pour les gens comme moi qui ont tendance à poser la main directement sur une plaque pour vérifier si elle est chaude (un moyen efficace, en effet, mais plutôt douloureux, je vous déconseille).

Voudrais-je séduire un homme en lui repassant ses chemises, je serais un déchet humain, un rogaton de l’espèce sapiens sapiens laissée sur le bord du trottoir, car 1. quel est l’intérêt ? (apparemment c’est bien les chemises repassées, bon, mais MOI qu’est-ce que j’en ai à foutre ? rien ; moi je les repasse pas, mes chemises, j’ai développé tout un système de séchage limitant le froissage et pour le reste je passe sans doute pour une souillon mais, comme dit mon parrain « sans cela ce ne serait pas toi ») et 2. what le fuck la personne qui a inventé la chemise, mais t’avais fumé la moquette de bon matin toi ! encore un homme qui n’a jamais mis la main sur un objet de ménage, t’as même pas calculé le nombre de plis possibles pendant que tu passes péniblement le fer dans des endroits plus vallonnés que le Grand Canyon ; pensez, par ailleurs, qu’autrefois les hommes portaient des jabots, et amidonnés encore. Exploitation pure et simple de la femme par l’homme. Personnellement je me destine à regarder mon mec putatif repasser depuis le canapé, en ponctuant sa tâche de commentaires ironiques « j’aurais pas fait comme ça » ; ou à finir célibataire, rien à foutre.

Le pire c’est qu’il y a des gens que ça fascine. Je ne juge pas, attention, loin de moi cette idée, je suis plus impartiale qu’un Président de cour de cassation, mais bordel le masochisme a de beaux jours devant lui. L’autre jour, un ami évoquait, les yeux plein de larmes, les miracles accomplis par son « défroisseur vapeur » ou je ne sais quelle machine du diable inventée par les Japonais, dont il paraîtrait que certains auraient même des poils de cul lisses, information dont je ne dispose pas de première main, je tiens à le préciser ici – mais en tant qu’écrivain je me dois d’explorer les noirceurs de l’âme et du corps humains, et c’est pas facile tous les jours quand vous saurez qu’il existe en effet plusieurs forums Doctissimo sur les poils pubiens lisses.

Oui, nous habitons un monde ridicule et bien le bonjour.

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Toujours plus loin, plus haut, plus fort.