De certains traits oubliables de l’Amérique

L’esprit humain est ainsi fait qu’il gomme de sa mémoire les aléas de la vie et se plait à retenir les détails les plus agréables pour oublier avec la plus grande joie les questions angoissantes qui le mettaient dans un état proche du suicide quelques années plus tôt. En tout cas je sais pas vous, mais moi, déjà j’oublie une masse incommensurable de trucs, en plus les trucs relous qui me prenaient grave la tête se transforment par le souvenir en détails pittoresques et sans importance. Typiquement, je me suis fait humilier par un sadique pervers devient grâce à cette relation j’ai pu étudier les amusants traits de caractères de la perversité en acte. On y verra une grande capacité de résilience ou un égoïsme sans fard, au choix. J’aime à penser qu’il s’agit d’un trait supérieur de ma personnalité, qui fait de moi ce vaisseau majestueux qui ne se baigne jamais deux fois dans la même onde et pose sur le monde un regard bienveillant et naïf sans cesse renouvelé. Mais bon, l’option  que je suis une connasse qui n’en a rien à foutre de ce qui se passe autour de moi est possible aussi.

Toujours est-il que j’entretiens ce rapport d’oublieuse majesté avec le pays des cow-boys et du fast-food. La réalité ne manque jamais de me hit in the face chaque fois que je retourne aux US – j’ai cette insupportable habitude quand je reviens des Etats-Unis d’émailler mon discours d’expressions en anglais signifiant à l’interlocuteur sorry mais je suis une citoyenne du monde, je suis so entre deux cultures, je ne retrouve plus mes mots en French, tu vois. En même temps c’est vrai quoi, la translation n’est pas toujours possible. Et puis t’es un citoyen du monde et tu comprends pas l’anglais ? ALLO quoi.

Attention, Tocqueville is in the place.

Tiens, commençons par ces annoying tics de langage qui font que l’Américain moyen dispose essentiellement de DEUX mots : like et so. It was like, so amazing, like, I couldn’t believe, I was like SO amazed !!! L’Américain est souvent étonné, ravi, choqué, abasourdi, enfin que sais-je, il faut croire. Et ce dans des proportions incroyables (« so »), mais jamais vraiment (« like »). Ce qui se traduit par : J’étais, genre, tellement étonné, c’était genre mais TROP étonnant.

Cliché. Je suis toujours d'humeur charmante. Vahram Muratyan

Cliché. Je suis pour ma part toujours d’humeur charmante.
Paris vs New York © Vahram Muratyan

Cet enthousiasme enfantin, que l’on pourrait croire faux au premier abord, mais qui ne recouvre le plus souvent qu’une insoucieuse superficialité (essayez d’avoir une discussion politique, une vraie hein, pas Barack il est beau Barack il est gentil, vous allez bien rigoler), est assez fascinant. Même le bon vieux fuck reste finalement un trait de la classe populaire. Bref, l’Américain est lisse comme le cheveu de Nabilla.

Ces détails discursifs sont en outre aisément observables grâce au niveau sonore moyen des conversations ; cette remarque, émanant d’une personne qui hurle elle-même plus fort qu’un cochon qu’on égorge à la moindre conversation, vous prouve bien à quel point l’environnement sonore peut être une pain in the ass par-delà l’Atlantique. Paie ton anglais quand ta voisine de bus raconte en moults détails au téléphone sa vie sexuelle (and it was like SOOOOOO amazing) alors que tu tentes vaillamment de lire Dos Passos (ou Glamour, mais c’est pas le sujet). Cependant, cette expérience fut une leçon de vie : mais qui n’a jamais péché me jette la première pierre, et puis j’avais pas non plus donné tous les détails, merci bisous lol.

Ambiance dans la brousse ouais. Attention les secousses ouais.

Ambiance dans la brousse ouais. Attention les secousses ouais. MAIS TU VAS LA FERMER TA GUEULE? Paris vs New York © Vahram Muratyan

Et encore, j’ai pas parlé du niveau des sirènes de pompiers et de police, qui percent le tympan mieux qu’un chant de la Castafiore.

Une autre spécificité locale charmante est la familiarité irritante que le Ricain se permet avec toi au bout de 30 secondes de conversation, alors que tu viens d’annoncer que tu es PhD et merci bien. Et vas-y que ça te donne du honey, du sweetie et du dégoulinant. MAIS ON N’A PAS GARDÉ LES COCHONS ENSEMBLE, en plus vazy comme les élevages de porcs industriels de toute façon y a personne pour les garder. Donne ton honey à tes cochons, non mais ! Genre c’est peace & love avec le premier tondu qui passe : ce n’est pas que je conchie cette façon d’aimer tout le monde comme un bisounours à deux neurones, c’est juste qu’au pays de la ségrégation et de la guerre en Irak j’achète moyen. Il y a même des gens qui se postent dans la rue pour proposer des free hugs. OUI, vous avez bien lu. Les gens se congratulent out of nowhere. Quand on pense que les premiers colons étaient ANGLAIS. J’hallucine grave. J’invoque ta mémoire, ô balai dans le cul des origines.

Mais le plus dur, le plus atroce, le plus incompréhensible, le plus tragique, le plus ballot, le plus stupide, le plus relou, de tous ces détails qui puent de la moule, c’est quand même l’incapacité congénitale de l’Amérique à adopter le POMMEAU DE DOUCHE AMOVIBLE.

Invention du ciel. Au moins on sera content de rentrer et de pouvoir se laver sans se mouiller les cheveux. Hein Nabilla, avoue, c’est ça que tu voulais nous dire.

Sur ce je vais me reprendre un petit cupcake pécan noix banane cream cheese à 2000 calories les 10 grammes. Ce pays n’a pas que du mauvais.

Aberration ovoculinaire

Eh oui je suis de retour aux States pour un temps hélas trop court, assommée par le décalage horaire (22h/4h du matin) devant la télé et les playoffs du championnat de la NBA (Chicago Bulls vs Indiana Pacers,  et selon l’expert sur le canapé le match est fort décevant…) Avantage du sport à la télé, et surtout du basket : un peu moins de pub que d’habitude, c’est-à-dire que pour une fois il passe plus de programme que de pub. Oui parce que sinon c’est coupure toutes les 5 minutes, et pour des pubs bien moisies c’est moi qui vous le dis ! Bref.

Je voulais lâcher ici une  salve indignée face à l’incurie culinaire des Américains. On a beau le savoir, on est quand même choqué quand on y est confronté… En effet, si les Américains passent la moitié de leur vie à manger / devant la télé (les 2 activités n’étant pas incompatibles, c’est pratique) / à penser à manger devant les pubs Taco Bell ou Mc Do à la télé ; si Michelle s’inquiète de l’obésité locale (hélas la New Yorkaise est assez mince, la joie de comparer ses cuisses à celles des femmes croisées dans la rue y est donc toute relative) ; si les maisons de banlieue américaine sont équipées de superbes cuisines immenses ornées de casseroles de toutes tailles en stainless steel… c’est pour mieux ne pas faire la cuisine, mon enfant !

Ici règnent le take away ou le tout fait, mais là où ça devient pervers c’est le tout fait qui te fait croire que tu fais. Ouais. Et là, y a du lourd : of course la pâte à gâteau où il ne reste qu’à rajouter le lait ou les œufs, bon jusque là rien que de très normal, ça existe aussi dans notre doux pays de la gastronomie… Mais là où j’ai failli faire une syncope / attaque / crise cardiaque alors que je faisais tranquillement la queue à Trader Joe’s (je vous raconterai Trader Joe’s une fois, c’est trop de la balle, enfin en fait c’est juste un peu comme un supermarché français et pas trop cher), c’est quand j’ai aperçu l’objet de mon étonnement, de mon dégoût, de ma colère, j’ai nommé : le blanc d’œuf liquide en bouteille.

Oui : LIQUID EGG WHITES IN A BOTTLE. No message here.

Séparer les blancs des jaunes d’œufs, un geste que seuls quelques artisans qualifiés à l’expérience millénaire maîtrisent encore. Faut dire que c’est fatigant hein !

Après enquête, je suis plus atterrée que jamais : non, ce n’est pas pour monter des blancs en neige que ce produit existe – monter des blancs en neige ! Une transformation culinaire qui dépasse l’imagination de tout New-Yorkais qui se respecte ! Mais… Eurk beurk… pour faire des OMELETTES DE BLANC D’ŒUF.
Je m’arrête là pour manger un œuf en chocolat bien français, car je suis au-delà de la stupeur.

Et d’ailleurs je suis trop fatiguée pour traduire, na ! Ca tombe bien, je raconte des trucs méchants ! Sorry America…