Des plantes, ou le dérivatif du célibataire désespéré

Régulièrement, lorsque je me fais larguer la vie me renvoie à la solitude profonde et consubstantielle de l’Homme face à la mort (et non face à la mer, Calogero n’a manifestement pas de problèmes de célibat et c’est tant mieux pour lui), d’intenses considérations philosophiques me traversent: ai-je un cul trop gros? envoie-je trop de textos? (oui certes) dois-je me faire refaire les seins? comment feront les pompiers pour désencastrer mon corps décomposé du matelas lorsque l’odeur aura prévenu les voisins que la vieille du 5ème a clamsé?

Ne raillez pas, on est dramatique quand on souffre. On se complaît. On se met en scène. On a bien le droit à un peu d’auto-apitoiement, merde. On n’est pas de bois. C’est pas la caissière du Franprix qui va s’occuper de ta sèremi. Surtout quand c’est la fête à cette pute de Sainte Catherine, celle que ta grand-mère fait même plus genre que ça fait dix piges que la coiffes, cette grognasse. D’ailleurs il faudrait que tu ailles chez le coiffeur, paraît-il que c’est un « rituel de rupture » qui fait du bien. L’imbécillité des mœurs post-modernes est consternante; on ne sait plus quoi inventer pour consommer. Je comprends que Castro aie fini par clamser, dégoûté par ces parades sociales où la vérité des sentiments fait désordre face à l’impitoyable déesse de la consommation et du paraître. Cela dit, je suis allée acheter des fringues, j’avoue, ça fait du bien. Pardonne-moi Fidel.

Bref, je me fais ponctuellement guélar (encore que, soyons honnête, il m’arrive également de susciter des ruptures, on n’est pas que des victimes, merci bisous) et se pose alors une question cruciale: suis-je faite pour vivre avec un être vivant? Ne suis-je pas, au fond, flapie, flétrie, mortifère? Dois-je, comme le suggère Libé, ce grand media d’investigation, me marier avec moi-même? Depuis mon enfance, qui fut un modèle du genre rangé et genré, j’ai certes prévu cet événement (le rôle du marié étant alors rempli par un être flou et interchangeable du type « prince charmant ») – mais enfin ne nous leurrons pas, ces respectabilités bourgeoises perdent de leur attraction avec l’âge. Et puis, me marier avec moi-même? Me jurer fidélité, mais si je veux changer? Et si je veux divorcer, quelle partie je garde? J’avoue que je ne cracherai pas sur les cadeaux mais, au fond, ce ne serait pas une bonne idée, je suis difficile à supporter.

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Et puis merde, célibataire c’est pas un gros mot, Littré le dit, qui ne se trompe jamais. L’État nous aime bien, tiens, d’ailleurs, on paie un max d’impôts. Cochez la case C.

Reste cette putasse de solitude. Remarquez, je dis putasse, mais la chose n’est pas particulièrement putassière. La chose est rampante, insidieuse, rigolarde, du rire parfois triomphant des joies pures, ou alors impitoyable et charognard des hyènes. Georges Moustaki et Léo Ferré TMTC je voudrais m’insérer dans le vide absolu.

Or donc, c’est ici qu’intervient la plante. Ouais, vous croyiez que je l’avais perdue de vue, mais mon esprit est plus affûté que jamais bande de chacals, la bête n’est pas encore morte, elle a du répondant. La plante, donc. Cette danaïde solitude de mes couilles confronte en effet l’impétrant qui refuserait de se marier avec lui-même (et donc de renoncer à la vie à deux, à trois ou à dix, chacun son truc) au besoin de plus en plus pressant d’un être vivant à ses côtés. Même les bêtes vivent en groupe. On n’est pas des chiens. Tout à coup, le buste de papier mâché d’Alain Juppé sur la commode n’est plus suffisant.

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Dès lors, l’humanité compatissante te conseille alors d’adopter un chat. Moi je veux bien, je dis pas, j’adore les chats. Mais bon, d’abord les chats c’est pas très heureux dans les petits appartements; et puis les chats ça meurt jeune, et j’ai le cœur fragile. Déjà les ruptures, ça va bien merci. Et surtout, une femme à chats, pensez! On a beau se gausser des préjugés de la société, c’est tout de même reconnaître ouvertement son désespoir et sa loose éternelle (pardon, ô chat que je n’ai pas adopté).

Donc, en ce jour solennel, j’ai décidé de changer de vie: j’ai adopté une plante. Qu’on ne rie point! Une plante ce n’est pas n’importe quoi: jusqu’à ce jour toutes les herbacées que j’ai eu sous ma protection ont clamsé plus rapidement que l’espace d’un matin, soit que je les arrose trop, soit que je les arrose trop peu (alternativement, ou en même temps). C’est un exercice intellectuel complexe que d’accepter la plante dans sa vie, car sa muette présence verte est tout de même un constant rappel de votre misérable condition de vieillarde fille; mais quelle responsabilité! Une vie ça n’est pas rien! Prends-ça, sapin de Noël!  En plus c’est un scindapsus, approuvé par la Nasa, ça purifie l’air: prends-ça avec ton cigare, Fidel!

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Le pouvoir de la fougère

Et puis ça fait genre je suis écolo. Depuis, j’ai plus de remords de prendre deux bains par jour. Ma plante m’approuve – l’avantage du silence, c’est l’approbation constante (même si parfois j’ai l’impression qu’elle me juge, surtout les taches vert clair sur les feuilles là, c’est perturbant). Bon, je la fais quand même dormir dans le salon, ça m’arrive d’oublier de l’arroser alors des fois je le fais après minuit.

On ne sait jamais.

Des peluches

La peluche, objet transitionnel des petits nenfants qui ont besoin de chaleur humaine. Mais pas que. Ceci est un hommage et un manifeste en faveur de la pratique de la peluche à tout âge. Y a pas de raison.

Oui, la peluche est utile, elle nous rappelle notre maman, le sein maternel, des trucs de l’enfançon que nous fûmes. Comme on n’est pas des bœufs, un homme sympathique et servant la science avec l’ardeur du sacrifice a fait des expériences intéressantes sur la question avec des petits singes : quand tu nourris un bébé singe avec un biberon en plastique et sans aucun contact animal, son cerveau clamse, plus personne dans le plafond ; par contre, avec un biberon enveloppé dans une peluche, il survit. CQFD, sans peluche nous sommes morts. Certes, la pratique de la peluche à l’âge adulte pourrait sembler futile, voire attardée, voire névrotique. Je ne suis pas Freud mais je sens que le gars aurait désapprouvé. En même temps il avait une barbe – et qui peut dire ce qu’il en faisait la nuit tombée? Il est bien facile de condamner la peluche quand on se caresse la barbiche. Ce que j’en dis.

Soyons réalistes : tou(te)s les célibataires en manque d’affection ont un jour caressé l’idée d’adopter un chat/chien/serpent/mulot (chacun sa merde) pour lutter contre la solitude (ou alors vous laissez la télé allumée, avouez). L’avantage de la peluche, par rapport à ces projets pouvant aisément déboucher sur le destin de vieille femme à chats, c’est que ce n’est pas VIVANT et donc parfaitement adapté à un usage discret et pratique : pas besoin de s’emmerder pendant les vacances, ni d’avoir peur de finir bouffée par ses clebs, ni de raconter la life de ton chat au bureau (elle met du vieux pain sur son balcon/pour attirer les moineaux les pigeons – comme le chantait JJ Goldmann idole de ma jeunesse). Et quand un impétrant potentiel (UN MEC, UN MEC, UN MEC !!) (oui, t’as beau faire, cette saloperie de mythe de prince charmant laisse de profondes séquelles dans ton cerveau pourtant fécond (que tu crois) (oui je suis une princesse, au fond)), quand donc (pardon pour la parenthèse) un impétrant potentiel se présente enfin au portillon, la peluche se remise aisément dans un tiroir, alors que le chat proclame avec un peu d’insistance à la face du mec monde que la solitude te pèse un peu malgré tes airs farauds de « je suis trop une meuf indépendante » (ne nous voilons pas la face, la possession de peluches à l’âge adulte est légèrement genrée).

Le chat à peluche. Comble de la cuteness ou de la lose? C'est selon.

Le chat à peluche. Comble de la cuteness ou de la lose?
C’est selon.

Attention! Bien sûr je ne parle pas de N’IMPORTE QUELLE peluche. Il existe des peluches décoratives de luxe représentant des animaux sauvages dans des postures savantes. Ces peluches sont magnifiques (et chères) mais ne sont pas matériau transitionnel potentiel, ce que l’on pourrait vulgairement appeler doudou dans le langage simplifié pour les enfants (que je réprouve, mais il faut parfois sacrifier la beauté du verbe à la précision du langage). Il y a ensuite LA peluche: peluche à bisous, peluche tout doux, peluche qui a une histoire, peluche qui a un nom, ta compagne de tous les jours enfin (plutôt de toutes tes nuits, finalement).

Intérêt objectif de la peluche, en un mot comme en cent :

1. Tu ne dors pas TOTALEMENT seule. Oui je sais, nous sommes des femmes fortes et indépendantes, mais on nous a quand même bien dressées à avoir besoin d’affection. La peluche c’est tout doux et ça ne demande AUCUNE contrepartie. Ca ne s’en va pas le matin. Ca ferme sa gueule. C’est un bien agréable compagnon de vie. En plus ça prend pas de place et faut pas la nourrir.

2. Intérêts pratiques divers : à caler entre les seins, sous le ventre, pour se caler la tête… La peluche vous promet des nuits plus agréables, parce que nous ne sommes pas des bûches.

3. Tu peux donner libre cours à ton amour des lolcats, et de tous les animaux mignons de l’internet que tu n’oses pas trop mettre en fond d’écran de peur de perdre pour toujours ta crédibilité de business woman. Tu peux être l’heureuse propriétaire d’une marmotte, d’un loup, d’un rat, d’un lapin, d’une panthère, d’un sharpei ou d’un cocker sans avoir besoin de te prendre la tête à réfléchir à la protection de la faune sauvage et des enjeux éthiques de la domestication animale.

4. Si t’aimes le poil, voilà du poil. L’appel du poil est parfois lancinant, on peut le comprendre sinon l’approuver.

5. En l’absence de petits enfants à utiliser comme objet transitionnel de ta vie ratée (non je ne juge pas), tu peux donner libre cours à une frénésie baptisante sans faire souffrir à vie une personne parce que tu l’as nommée Mao ou Marie-Bérangère.

Longue vie et poils à Emile, Marcelle, Michel, Jean-Loup, avec les remerciements de Mademoiselle Babouchka et de l’Emmerdeuse.