Harcèlement de rue

Ok c’est grave pas original.

Au début de cette histoire de harcèlement de rue, je me suis secoué les petits neurones (oui j’en ai, mais ils sont petits ; chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a) et me suis fait la réflexion qu’après tout ce n’était qu’un petit symptôme, du « féminisme cupcake » en quelque sorte (ouais, on m’a déjà dit que je fais du féminisme cupcake alors je me méfie depuis; quoique personnellement je dirais plutôt que je pratique le féminisme « bisounours » soyons précis), et qu’il fallait lutter d’abord pour l’égalité réelle de tou(te)s : de salaire, de temps, de statut social. Que c’était un truc qui visait surtout les hommes des classes populaires, et que de toute façon j’allais pas rajouter grand chose au schmilblick.

De fait, le féminisme ne doit pas se réduire à la dénonciation de ces attitudes agressives et quotidiennes. Le harcèlement de rue est certainement plus un symptôme de la domination masculine qu’une grande cause nationale sans aucun autre contexte (arrêtons de harceler dans la rue mais continuons d’empocher 20% de salaire en plus). Cependant, la réduction systématique de la femme à un objet (sexuel) me semble être un des fronts sur lesquels nous devons lutter.

Egalité des corps, égalité des salaires, égalité des sexes.

Par ailleurs la pratique de l’espace urbain selon les genres est d’une inégalité qui touche à l’extrême ; je m’abstiendrai de vous faire un cours (juste 30 secondes quand même), mais les chercheurs qui bossent sur le sujet montrent que ¾ des dépenses publiques urbaines pour les équipements et loisirs profitent aux garçons (kikoo les stades de foot), qu’il s’agisse d’espaces aisés ou populaires. Vous imaginez le résultat sur l’occupation de l’espace public. Dong ! Fin de la minute culture.

Revenons donc au sujet à la mode, le harcèlement de rue (quiconque me connaît sait que j’ai une faiblesse pour la mode, superficialité toute féminine que l’esprit philosophique de l’Homme évite sans difficulté, lui). Il se trouve quand même qu’une bonne partie de ces comportements sont passibles de poursuites au pénal. Enfin cela dit j’imagine la tête des flics quand tu viens porter plainte parce qu’un mec t’a traité de salope (voir l’attitude de la police à mon égard ci-dessous d’ailleurs) ; oui, parce que quand même elles vont pas se plaindre de se faire draguer les minettes, et puis elles n’ont qu’à pas porter de jupe.

Comme beaucoup de femmes, je l’imagine, j’ai été des années mal à l’aise avec mon corps – et c’est encore parfois un combat quotidien de mettre une jupe plutôt qu’un jogging équipé d’un airbag qui cacherait l’entièreté de mon anatomie. ‘T’es un gros tas – Mais nan attends t’as des gros seins, c’est pas mal – Ouais mais t’as vu mes cuisses, et ça c’est de la cellulite – Bon demain je me mets au régime mais en attendant on va faire comme si j’étais mince’. (Ceci est le dialogue de moi avec moi-même tous les matins devant l’armoire). Ouais je sais c’est un peu moisi comme combat quotidien, big up à l’usine et à Radio France, mais que je sache les 3/8 sont une opération de destruction du corps aussi, et tout cela est quand même légèrement un problème à mon humble avis.

Toujours est-il qu’après ces moultes tergiversations psychanalytiques et suite à une intense opération d’autoérotisme, je, femme, m’habille journellement d’oripeaux attirants, ce qui suscite donc à foison cet intéressant phénomène de guérilla urbaine masculine que l’on nomme « harcèlement de rue » (alors que bon, j’ai jamais rien demandé, je m’habille pour moi pas pour attirer le chaland, merci bisous lol) (perso un mec en short ne m’a jamais donné envie de le violer) (il faut dire que c’est laid, un short). Attention point précision : je ne raconte ici que des choses qui m’arrivent à moi (oui je suis une biatch égoïste comme Britney), il est donc tout à fait possible que des personnes qui choisissent de s’habiller en airbag pour cacher leurs formes subissent AUSSI ce genre d’aimables événements. Ceci n’est donc qu’un témoignage de ce qui est arrivé à MA petite gueule, et non un argumentaire politique construit. Cela dit ça m’intéresserait bien qu’on en construise, un argumentaire politique construit, et pas seulement une HACHETAGUE CAMPAGNE DE PUB, parce que vu ce qu’on lit dans les magazines, on n’est pas frappé par la puissance de l’analyse. Allo. On n’est pas aidées. (Je m’excuse du côté geignard et autocentré, donc, j’ai rien trouvé d’autre pour le moment).

Je vais raconter simplement selon un principe de gradation. Si je raconte ça, c’est d’abord parce que j’en ai discuté récemment avec un ami homme tout à fait bien intentionné, et qui a rigolé quand je lui ai dit que ça m’arrivait quasiment TOUS LES JOURS. Quand je l’ai vu rire, mon sang n’a fait qu’un tour.

Et oui, les amis, tout ça nous arrive PRESQUE TOUS LES JOURS (surtout si on prend les transports en commun). Parce qu’on porte une jupe. Ou même pas. Juste parce qu’on est une femme.

Donc voilà, tout ça m’est arrivé, en 30 ans d’existence – et plus particulièrement en 15 ans d’existence parisienne.

Extrait de l'excellent "Projet Crocodiles" par Thomas Mathieu. http://projetcrocodiles.tumblr.com

Extrait de l’excellent « Projet Crocodiles » par Thomas Mathieu.

  1. Quotidien

« T’es charmante mademoiselle », « Tu as de jolis yeux ». J’en passe. On le justifie par la « drague » (moi j’aime bien la drague, quand c’est bien fait et pas imposé ; c’est rare). Seulement, représentez-vous que la 5ème ou 10ème fois, c’est GONFLANT. Oui, 10 fois, 15 fois, dans la même journée, avec une jupe courte, c’est tout à fait possible. D’autant plus quand on se prend un « Salope » sonore pour avoir ignoré la remarque. Mais à part ça toi t’es pas un connard, t’essaies juste de draguer.

La sensation désagréable d’intimité dans les transports. Bon l’heure de pointe c’est la lose pour tout le monde. Seulement les gars, si vous pouviez essayer de déplacer votre entrejambe quand le métro est bondé est qu’une femme est contre vous ; parce que du coup, quand vous avez la gaule, c’est bah… dégueulasse.

  1. Parfois

Une main sur la cuisse, une main sur les fesses (lui il a eu de la chance que la porte du métro se ferme à temps, mon mec allait lui faire la peau ; sentiment d’impuissance parce qu’on n’arrive pas soi-même à leur faire la peau, en passant), une main sur les seins, un mec qui sort sa bite devant toi dans la rue (kikoo le petit oiseau chauve).

Occurrence une fois par an. Ce qui fait pas mal, tout bien réfléchi – il s’agit tout de même d’une agression physique. Je ne parle pas des regards insistants ni des sifflets bien sûr, c’est peanuts. Ni des mecs qui te suivent quand tu rentres chez toi le soir. De quoi on se plaint, y a pas d’atteinte physique.

Le winner toutes catégories est celui de l’an dernier. Une camionnette ralentit – pour demander son chemin sans doute (remarquez ma gentillesse et mon éthos charitable).

« Je peux vous aider ?

Ouais, moi et mes potes (ils sont plusieurs à se bidonner dans la camionnette) on va à un studio de tournage, on se demandait si tu voulais venir avec nous, parce que t’es mignonne et moi, ton string, je prends la ficelle avec les dents et je te la fais claquer. 

Non merci » (Eh oui, comme une conne je ne trouve rien d’autre à dire ; mon sens de la répartie est parfois mauvais, C’EST BALLOT). Plus loin dans la rue (ils me suivent quelques mètres) « Eh ben fais pas ta timide, viens avec nous. » « Salope. » Voilà, salope, ça finit toujours comme ça. RICHESSE DU VOCABULAIRE.

(Précisons que je ne porte jamais de string, je trouve ça vulgaire, merci bisous lol connard).

Connard, con, salaud, imbécile, fumier, saleté, dégueulasse, ordure, charogne, sagouin. Je devrais apprendre la liste par cœur.

Projet Crocodiles par Thomas Mathieu

Projet Crocodiles par Thomas Mathieu

  1. Occasionnellement

Sortir en boîte gay, normalement, c’est safe pour une femme. Eh bien non, l’autre soir, en sortant, un gars (apparemment les hétéros viennent en boîte gay parce que les filles y vont pour être tranquilles, vlà l’raisonnement) me prend par l’arrière du crâne, me roule une pelle, et s’éloigne tranquillement. Soyons clairs les amis, ce n’est pas ce que j’appelle un baiser volé. C’est une agression. Mais enfin tout le monde est bourré, tout le monde est content. Je n’ai rien dit, de toute façon on sortait. Je suis rentrée et je me suis lavée 50 fois la bouche avec du savon.

Et puis sinon, un soir, je rentrais très tard chez moi, en robe décolletée (forcément sinon c’est pas marrant, on ne peut pas culpabiliser), un type m’a suivie dans la rue puis le hall, bâillonnée de la main, balancée dans les escaliers, puis m’a donné un coup de poing dans la figure et m’a pris mon sac. Je suis incapable de dire si l’agression était aussi sexuelle ou pas, je me souviens juste de ça. Et ensuite, de l’interne qui matait ouvertement mon décolleté aux urgences, puis de LA policière qui a pris ma plainte en me disant que j’avais de la chance parce qu’il y avait une fille qui s’était fait asperger avec du gaz lacrymogène à Pigalle, et que c’était bien pire.

De la chance.

Depuis j’ai toujours une bombe lacrymogène anti-agression dans mon sac, et je continue à sortir tard en décolleté.

Voilà c’est tout bonsoir.

Laisse pas traîner ton fils.

Taxonomie anthropologique, terrasse, café, Paris.

La terrasse de café, cette évidence parisienne, ce Graal de la lutte pour la place au soleil mais pas trop sinon tu grilles, ce montre-moi je te cache, m’as-tu-vu et bouge de là, demandes en mariage, annonces de fin du monde, polémiques pour de rire et fractures abyssales, poste d’observation et havre d’anonymat, les chaises cannées qui font des traces quand on est en minijupe, héler le serveur et ergoter sur le changement climatique, retour du lait-fraise et permanence du mojito, petit cassis et diabolo, les bocks et la limonade, les tilleuls verts sous la promenade, minutes de vacance volées, alcooliques et caféinés. Bref, au moindre rayon de soleil, le Parisien squatte au soleil et tranquille le chat de la boulasse intergalactique.

Bien que votre servante vienne de se prendre une insolation d’importance vu qu’en avril ne te découvre pas d’un fil et que donc elle avait pas mis de chapeau mais un gros gilet et vazy qu’il fait 30 degrés dehors y a plus de saisons ma bonne dame mais oui d’ailleurs moi j’ai des rhumatismes de partout et puis on a eu un mois de mars pourri et, quoi, 2 euros 80 le café mais VOUS VOUS FOUTEZ DE MA GUEULE tu vas voir si je te donne un pourboire ; bref, nonobstant la confusion mentale locale, ne nous laissons pas abattre, vive le soleil, les petites fleurs et les hormones.

De tous temps, les Hommes ont glandé aux terrasses des cafés.

De tous temps, les Gens ont glandé aux terrasses des cafés.

  1. Seuls

Le lecteur. Catégorie bien affirmée des terrasses parisiennes, à la densité croissante autour des 5ème et 6ème arrondissements qui pourtant n’ont plus de littéraires que les oripeaux de jours de lose meilleurs, où les presses universitaires de France n’étaient pas supplantées par un marchand de baskets (vous tous qui faites du sport : je vous méprise, je vous ignore ; et même si y avait pas un marchand de baskets place de la Sorbonne ça ne changerait rien tenez-vous le pour dit, et je m’en fous de votre temps au semi-marathon, bande de masochistes, merci bisous). Le livre a plusieurs usages non exclusifs : attirer l’œil d’une cible amoureuse potentielle – choix crucial de l’ouvrage, tant il va de soi que tu ne pécho pas pareil avec Hegel ou Guillaume Musso ; faire l’asocial en prétextant un désir de culture plus élevé que ceux des âmes vulgaires ; se la péter ; tenter d’aérer son teint de cul tellement t’es pas sorti depuis 6 mois de chez toi pour préparer ton concours ; lire. En ce moment-même, ma voisine de terrasse est une jeune femme enceinte en train de lire un ouvrage intitulé Management du changement. Perplexité.

Le café clope journal. Se décline en lecteur du Figaro, ou du Monde, voire du Parisien (« mieux vaut l’avoir en journal ») (y a encore des pubeux qui en ont derrière la cravate). Il y a TOUJOURS un lecteur du Figaro qui nous attend quelque part. Comme dirait Anna Gavalda. Impavide dans son costume bleu marine, il nous rappelle que l’intelligence française n’est pas morte, et que la fainéantise ne nous aura pas. La France est la partie immuable du journalisme d’investigation sous le saint patronage de Serge Dassault et Matthieu Pigasse. Merci bonsoir.

Le geek. Nouvel avatar des deux types précédents, le geek s’affaire à lire / écrire / écumer les zintèrnettes avec l’ardeur de Julien Sorel lisant le Mémorial de Saint-Hélène. Jetterons-nous la pierre au taré de la tablette, à l’excité du MacBook, au suppôt de Microsoft ? Je crois que la prudence s’impose ici, pensons tout de même que nous ne sommes pas des machines. Laissez vivre les connasses de blogueuses qui viennent épier les gens pour écrire des posts soi-disant sarcastiques, il faut de tout pour faire un monde. Hachetague Tolérance.

  1. Couples (c’est logique)

Le couple potentiel. Ouh que ça sent le date, ouh que ça se cherche, ouh que c’est mignon tout plein. Ouh que… mais ? aïe, ça drague culturel, ça parle opéra synesthésique, avec odeurs et tutti quanti, que, non… ça répond salaire et situation, mais ? IL EST PASSE OÙ RONSARD BORDEL DE QUEUE ?

Le couple d’amis trentenaires. Lunettes de soleil, paire, jeans, marinière, baskets, projets artistiques, évolution professionnelle, divorce.

Le couple jeune apprenti / vieux sage. Parent-enfant, parrain-filleul, prof-élève, que sais-je. Moi ça ne me dérange pas qu’on dise aux enfants qu’il y a « plusieurs Sorbonne » et que « dans un autre coin il y a la Sorbonne de Droit » (WTF ?), mais MERCI de ne pas se moquer de mes chaussures rose fluo. Je vais t’apprendre où qu’elle est la Sorbonne à coups de savate, le vieux. Et toi, le jeune, arrête de rigoler bêtement. LES JEUNES QUI RIGOLENT BÊTEMENT. POURQUOI ?

Le couple d’ados à la sortie du lycée. Ca s’encanaille en terrasse et ça se croit tout permis. Nota bene pour plus tard : prévoir de donner se futurs enfants à l’adolescence. Boutons, clope, iphone, Ray-bans et beuglements (l’ado mâle drague en beuglant, en glapissant dans le suraigu pour les femelles).

  1. Groupes

Les touristes. L’appétence de l’auteur pour les touristes étant connue de tous, nous ne reviendrons pas sur ce douloureux sujet. Abreuvés de visites, ornés de t-shirts éclatants et ombragés de casquettes blanches, ils s’abattent telle une troupe de moineau sur la moindre tablette pour s’abreuver tel un troupeau de mulets après la traversée des Andes. Inutile de préciser qu’ils te piquent sans coup férir la chaise sur laquelle tu avais installé tes pieds en scrède (oui des fois je mets mes pieds sur la chaise en face ; la chair est faible). Mettront 3 heures à passer la commande vu qu’y a pas moyen qu’ils pigent la différence entre une noisette et un cappuccino. Affligeant spectacle.

Le groupe de copines. Rouge à lèvre mat, frange, blouse imprimée, tote bag. Mecs mecs mecs, bébés, massages, projets artistiques, shopping, mecs mecs mecs mecs.

L’insolation revient. Vais aller me tremper la tête dans la baignoire.