Des wannabe branchés

Ne vous trompez pas sur l’objet de l’analyse. Les wannabe branchés (les gens qui veulent être branchés, quoi) (l’idée étant dès le départ de vous faire comprendre qu’ils ne le sont pas) (le regard des autres est cruel) ne sont pas des hipsters, et ne se reconnaissent pas par leur barbe abondante, leurs grosses lunettes en écailles, leur gilet gris ni leur chemise à carreaux. Non, les wannabe branchés sont parmi nous, et ils sont invisibles. Habillés comme le péquin lambda, ils peuvent surgir à l’improviste lors d’une soirée, au Mac Do ou derrière un lampadaire. Ne paniquez pas, la lonesome camionneuse, spécialiste de la hype et grande débusqueuse des impostures sociétales, héritière de Socrate et de Jacques Attali, est là pour éclairer votre chemin.

Le wannabe branché centralise sa volonté de d’ostentation du savoir dans le domaine culturel ; il est donc particulièrement concentré dans la Babylone parisienne (où se concentre déjà une foule de gens bizarres, ne nous voilons pas la face) (franchement en ce moment je suis vachement confrontée à la bizarrerie des gens, et je me demande régulièrement ce que c’est que ce bordel) (mais arrêtons ces parenthèses intempestives, elles déplaisent à une partie – masculine – de mon lectorat) (quand je vous dis qu’il y a des gens bizarres) ; il se gouleye en général d’une spécialité cultureuse : être un wannabe branché nécessite un gros travail de suivi, ce qui rend difficile la construction d’une branchitude tous azimuts (qui trop embrasse, mal étreint). En outre, être branché dans tous les domaines de la culture ferait louche, le côté wannabe serait trop visible. Tel un boa hypnotisant une souris blanche, le wannabe branché détourne donc le regard en s’abritant derrière l’écran de sa passion pour la musique / le théâtre / le cinéma / l’art contemporain / la littérature / la mode / la pornographie (ah non, ça n’est pas encore totalement entré dans le domaine du politiquement correct) (et pourtant certains opus se laissent regarder, hu hu hu) (voyez, là je viens de faire comme si j’étais une wannabe branchée en porno) (ne vous y laissez pas prendre !). Comprenez donc bien, si le wannabe branché est branché, ce n’est nullement pour faire genre, mais parce qu’une inclination irrésistible l’y pousse. Le pauvre, ce n’est pas de sa faute si ses oreilles se rebiffent au son de Lara Fabian, ou d’une version vraiment inécoutable du Salve Regina de Pergolèse (dans la musique baroque, faut chercher quelques bons compositeurs de derrière les fagots, ça fait mieux) ; c’est que son amour sincère de la grande musique lui fait sentir toute l’imperfection de l’objet incriminé.

Eh oui, hélas, chers amis, le wannabe branché se tape l’affiche. C’est bien son plus gros défaut. S’il était vraiment en kif intégral de ses trucs, nul doute qu’il ne les étalerait pas de même manière devant la foule (qu’il croit ébaubie mais qui est en fait plutôt vénère de sa prétention à la con) (enfin moi ça me soule vite la bite) (pour le dire vulgairement). Conseil d’ami, les gens, ne tombez jamais sous les fourches caudines d’un wannabe branché, il risquerait de vous entraîner dans son délire. Nous sommes des êtres d’imitation (tous des moutons), et le mirage de distinction sociale que nous promet la wannabe branchitude peut être plus tentant qu’un pot de Häagen Dasz. Mais sachez-le, ce n’est qu’un miroir aux alouettes. Ne croyez pas que vous n’êtes qu’une merde parce que vous ne comprenez goutte à ce que le wannabe branché est en train de vous débiter. En effet, il y a fort à parier qu’il comble là une faille psychologique plus vaste que le rift africain, qui remonte à une quelconque humiliation dans l’enfance (en voilà un qui, contrairement au grand Jean-Jacques, n’a pas dû apprécier de se faire fesser) ; il cherche donc à combler la faille à coups d’une supériorité culturelle qui n’est en réalité que faiblesse profonde (psychologie à deux francs, bénie sois-tu).

Subséquemment, le wannabe branché n’a de cesse d’exhiber sa science : vous verrez apparaître sur divers supports écrits (réseaux sociaux et plus particulièrement face de bouc, voire autre truc obscur auquel seuls les branchés sont connectés, mais hélas en général ils ne se contentent pas de leurs pairs pour exhiber leur passion pour la branchouille) (il y a aussi les journaux, nous allons y venir) (ay ay ay ma pauvre mère, pourquoi m’as-tu fait ça ?) des photos artistement cadrées, des playlists quintessenciées et  des commentaires sur leur expérience inspirée et experte de la dernière œuvre à voir / écouter / essayer. Ça donne à peu près ça : Magnifique et bouleversifiant XXX (exposition / concert / film ou autre). La maîtrise du clair-obscur y dispute à l’élégance des formes. Sainte-Beuve, tu n’es pas mort en vain. Je me contente aussi de remarquer que les vrais amateurs et/ou experts ne se permettent pas ce type de pseudo-critique à la mords-moi le fion (ouais, aujourd’hui je suis un peu vulgaire, c’est branché) et se contentent en général de « L’ours qui encule une mouche m’a bien plu » ou « Chier sur la tête du pingouin, c’est de la boulasse » (l’art contemporain n’a pas de limites) (il faut dire que là, une critique serait sans doute superflue), ou ne disent rien. Des fois c’est bien, de ne rien dire.

Dans cette désastreuse lignée de critique branchée, citons les magazines de wannabe branchés, dont le moins affligeant n’est sans doute pas Next. Comme je vous le disais récemment, je ne m’en suis pas remise. Passons sur les titres aux allitérations obligées et désespérante, genre « l’amour qui mue » ou « bulles en bourse ? » (celui-là je l’aime bien nonobstant, on peut en tirer des images qui intègrent assez généralement les testicules de Robert Bidochon), voire aux jeux de mots tellement affligeants que même mon arrière-grand-mère n’en fait plus usage dans l’au-delà comme « l’été d’art d’art ». REALLY ??? Remarquez aussi que les titres n’ont point de majuscules, sans doute symboles d’une hiérarchie que la gent journaleuse branchée ne saurait voir. Bref, ça fait mal au cul (vulgarité quand tu nous tiens). Attention donc, un abonné à Next risque fortement de montrer des signes de wannabe branchitude avancée. (Même remarque sur tous magazines et journaux de cet acabit, mais comme je ne suis absolument pas versée dans la branchitude je ne peux pour le coup pas vous en faire la liste) (le dernier Next m’est tombé dans les mains par hasard et m’en suis pas remise, alors…)

Pour finir, la pratique de la branchitude culturelle passe par un ardent travail d’assiduité aux différentes manifestations de la branche cultureuse choisie, et par un petit tour de France des festivals, voire du monde si le wannabe branché est pété de thunes. Inquiétez-vous donc un peu si votre flirt se checke successivement à la Roque d’Anthéron, Aix-en-Provence et Ambronay sur face de bouc. Soit il est critique musical, soit il est wannabe branché. Pas d’alternative.

Or donc, si vous êtes confronté à un spécimen de cette dangereuse tendance, larguez immédiatement ce lest inutile, il empêchera votre montgolfière de bondir vers le soleil du kif des belles choses. (Enfin c’est mon humble avis).

Ne me remerciez pas, c’est bien naturel.

xxx

Traduction du cartoon (je suis vraiment bien sympa):
– L’art n’est pas une question d’idées. C’est une question de style. La décision la plus cruciale d’une carrière est de choisir un bon « isme » pour que tout le monde sache comment vous catégoriser sans comprendre l’œuvre.
– Tu fais des mauvais dessins sur le trottoir.
– Tout à fait, je suis un post-moderniste suburbain.
– N’en sommes-nous pas tous.
– Je voulais être un néo-déconstructiviste, mais maman ne me l’a pas permis. Les gens font toujours l’erreur de croire que l’art est créé pour eux. Mais en réalité l’art est un langage privé pour les gens raffinés, pour se féliciter de leur supériorité sur le reste du monde. Comme l’explique mon manifeste artistique, mon œuvre est complètement incompréhensible et c’est pourquoi elle est remplie de signification profonde.
– Tu as mal épelé Weltanschauung.
– Un bon manifeste d’artiste en dit plus que son art ne le fera jamais.

8 réflexions sur “Des wannabe branchés

  1. Je crois effectivement être capacité de pouvoir dire avec Victor Hugo que « la parenthèse est l’île du discours » voire même, ajouterai-je à mon tour, doit l’être par sa propre esssence.

    • Cher ( ), vous n’êtes pas seul dans votre dédain des parenthèses. Une faction masculine de lecteurs de ce blog, friande de citations littéraires et d’exhibition culturelle, semble être en train de se constituer.
      Je me drape dans ma dignité et continuerai à parenthéser à la vitesse d’un cheval au galop.

  2. J’ai aimé, donc j’ai tweeté. Et par la même occasion j’ai inauguré le hashtag “#LesBonsBlogsSontRares”.

    PS : la Une du Elle de cette semaine (Non je ne lis pas Elle, mais Oui on m’a parlé de sa Une) m’a rappelé l’un de tes anciens articles … !

  3. Merci cher Alex, tu as ma reconnaissance éternelle!
    Joli # que le tien, la lonesome camionneuse est honorée de l’inaugurer!
    Quant au Elle je m’en vais checker cela dans un kiosque dès demain…

    • Tu verras, moi qui pensais que le ciment du couple c’était la confiance.

      Par ailleurs, tu as bien fait de laisser la version de mon commentaire contenant cette jolie répétition de « occasion », on est toujours trop conventionnel sur le plan stylistique !

      • Ouh là, j’avais pas vu la différence des commentaires, je crois que c’est réparé maintenant…
        Quant à la pipe ciment du couple (pour le dire vulgairement) (ou pas puisque Elle adoube ce type d’affirmation plus affligeante que le bronzage de Jack Lang), je peux témoigner que c’est pas ça qui fait rester les mecs (et je m’y connais).
        Ceci était un commentaire du dernier graveleux, en direct de la tendance pourrie des magazines féminins, honnis soient-ils.

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