Obscurité verbeuse / Wordy obscurity

Avec un malin plaisir, je ne résiste pas à vous proposer ce texte d’une obscure clarté, texte qui nous éclaire sur l’intentionnalité qui habite parfois l’architecture. Il s’agit de la plaquette authentique d’un cabinet d’architectes du Nord-Pas-de-Calais. Pardon aux architectes intelligents (car il y en a!) mais c’est juste trop bon! Pour me racheter, je promets un post ultra-positif sur l’architecture très bientôt!

Remarquez les jeux de mots subtils, mais aussi les phrases… qu’on ne comprend tout simplement pas (je ne vous raconte pas la galère pour la traduction en anglais!)

L’architecture est le seul art dans lequel on entre.

C’est une machine à habiter le temps.

A instaurer des normes chacun de son côté et à déterminer toujours

ce qu’il faut faire, l’on veille souvent sur ce qu’il faut taire dans l’incohérence

la plus complète.

A travers une configuration spatiale communicative, transversale

et résolument ouverte sur l’extérieur, T. ouvre à la décision

collective librement consentie.

Avant tout, cabinet d’Architecture, notre agence cultive un véritable rapport

entre l’individu et la société. Question d’équilibre.

Comment se situer par rapport aux avis adverses mais défendables,

aux décisions prioritaires, aux hiérarchies stratégiques ?

T. se départit des normes. L’agence examine d’abord l’authenticité, vérifie la

validité et s’exprime avec art en dehors des formats.

Avec vous,

le cabinet participe à l’éthique sociale comme une structure de questionnements.

Primordialement au service des œuvres collectives, de la ville, de l’aire

respirable, des équipes singulières et harmonieuses incarnent et traduisent

des organismes vivants.

Vous avez lieux d’être.

Dans un monde où tout s’échange,

d’abord se répondre puis se répandre.

La terre est notre habitation, la ville une grande maison,

la maison une petite ville.

Il devient improbable, impossible de définir une forme à la cité…

Les gens épousent ses nombreux contours, déplacent ses centres,

modulent leurs trajets, se propagent.

T. est une agence fluide.

Echo logique de la ville.

Au gré de fines réflexions menées avec les entreprises, les partenaires

urbains, les administrations, les tutelles… le cabinet compose un lieu

habitable.

Chaque intervenant scande mesures et décisions, peut inter-venir et fait

le jeu de l’ensemble au profit de tous.

Nos premiers points de repère – vos préoccupations.

Vos optiques percutent, nos lignes se répercutent.

Ces architectures ouvertes simplifient les systèmes de questionnements.

Monuments, logements, maisons, bureaux ne sont pas de simples objets.

Ils sont mouvements, espaces, événements. Une architecture mobile

répond à un dehors meuble et chacun vient à la rencontre de l’autre.

T. est un agent fluide.

I can’t resist to the wicked pleasure of proposing you this obscurely clear text, that throws light on the intentionnality with which architecture is sometimes filled. This is the authentic brochure of an Architecture firm from Northern France. Sorry to intelligent architects (for there are some!) but it’s just too good! As amends, I promise a very positive post on Architecture very soon!

Please notice the subtility of the wordplays, but also that some sentences… are just un-understandable (I won’t describe the pain in the ass the translation has been!)

Architecture is the only art you can enter.

It’s a time living machine.

Instituting norms on our norms and always determining

the proper thing to do, we often watch over the proper thing to hush up in the deepest

incoherence.

Through a communicative, transverse and resolutely open to the outside

spatial communication, T. opens to the collective,

freely agreed decision.

Foremost firm of Architecture, our agency cultivates a true connection

between the individual and the society. Question of balance.

How to make a stand on opposite but tenable opinions,

on priority decisions, on strategic hierarchies?

T. departs from norms. The agency first examines authenticity, verifies

validity and expresses itself with art outside formats.

With you,

the agency takes part in social ethics as a structure of questionings.

Primarily serving the collective works, the city, the breathable

area, singular and harmonious teams embody and translate

living organisms.

There is a reason for you to be.

In a world where everything can be exchanged,

first reply then pervade.

The earth is our home, the city a big house,

the house a small town.

It becomes improbable, impossible, to delimit a form for the city…

People trace its many contours, move its centres,

modulate their journeys, spread out.

T. is a fluid agency.

An echo, logical, to the city.

Following fine reflections developped with firms, urban

partners, administrations, supervision authorities…the firm composes a liveable

place.

Each stakeholder declaims measures and decisions, can inter-vene and plays

the game of the whole in favour of everyone.

Our first landmarks – your preoccupations.

Your optics impacts, our lines are reflected.

These open architectures simplify the systems of questionings.

Monuments, housing, houses, offices, are not simple objects.

They are movements, spaces, events. A mobile architecture

meets a loose outside and everyone comes to meet everyone.

T. is a fluid agent.

BNF WTF?

Comme tous les thésards qui veulent un peu bosser avec des bouquins, je vais travailler souvent au temple du savoir parisien, la bibliothèque nationale de France, dite aussi BNF. Aujourd’hui je ne peux plus me retenir de cracher mon venin sur ce bâtiment, qui incarne pour moi le manque de sens pratique de l’architecte – loin de moi de vouloir dire du mal des architectes, mais là…les bras vous en tombent, chers amis !

Pourquoi ce titre haineux ? (« Bibliothèque Nationale de France what the fuck ? » in extenso) Parce qu’en sortant ce soir de la BNF, j’ai eu la déplaisante surprise de constater qu’il pleuvait et que, par conséquent, le vaste espace plane couvert de bois (dit « parvis » par l’architecte) qu’il faut traverser sur au moins 500 mètres pour accéder à la rue, était hyper glissant. Résultat de l’opération, comme d’hab, un pied tordu… Donc première remarque pratique (mais où donc était le sens pratique de l’architecte ?), pourquoi créer un « parvis » où on se casse si aisément la gueule (sans parler des escaliers pour y accéder), où il vente et où du coup personne ne se rend sauf pour entrer dans la bibliothèque ?

Pourquoi, oui pourquoi, ce parvis est-il si difficile d’accès depuis la rue ? Pourquoi pas de portes, d’ouvertures vers les rues et les quais de la Seine ? Pourquoi un jardin en contrebas du parvis, où personne ne peut accéder (alors que Paris manque cruellement d’espaces verts), et où tentent de survivre quelques arbres minces, tout en verticalité (on comprend l’idée érectile artistique de l’architecte), tellement verticaux qu’ils risquent de tomber et qu’il faut les arrimer au sol… Tiens, en parlant de la végétation, citons aussi les plantes EN CAGE ( ???) que l’on peut admirer sur le parvis !

La BNF est une maison du savoir, au moins 15 millions d’ouvrages y crèchent. Pour célébrer la connaissance, l’architecte a érigé quatre tours figurant des livres ouverts, surplombant Paris et offrant à leur somment une vue inestimable… avec une lumière incroyable, les tours étant en verre. Perso je trouve le bâtiment plutôt classe, voire beau. Mais là, surprise : toute cette lumière, ces vues de Paris depuis les tours, ne sont pas pour les malheureux travailleurs du livre (chercheurs, écrivains qui ont accès à la « bibliothèque de recherche » ou étudiants, bacheliers ou autre populace confinée à la « bibliothèque d’étude ») mais pour les livres eux-mêmes ! D’ailleurs, les livres étant trop exposés au soleil, on a dû installer à prix d’or des volets de bois pour les protéger (sens pratique, quand tu nous tiens !)

Mais quel sens, quelle ontologie, de ce splendide bâtiment ? Eh ben d’abord, quand t’es un chercheur, pour aller bosser tu t’enterres, tu vas au sous-sol, tu descends un escalier roulant interminable vers les salles de travail à la moquette rouge, tel Dante s’enfonçant dans les cercles de l’Enfer (lequel est celui des chercheurs : celui des luxurieux, des gourmands, des avares, des coléreux, des hérétiques, des violents, des sodomites ?)…

Mais mais mais, là tout de suite, contradiction ! Le jardin inatteignable (jardin d’Eden ? ben alors c’est bien moche le jardin d’Eden) est en fait là pour figurer un cloître…le chercheur serait donc un moine (s’imaginerait-on que le chercheur doit être séparé du monde, et surtout CHASTE !! Je m’insurge !)

Pour trancher, conclusion sans appel : il s’agit en fait d’une descente dans la soute à charbon. Le matelot, tel un soutier, doit s’y rendre pour pelleter le charbon. Le chercheur, forçat du savoir (voir le plan commenté à la fin pour un résumé ontologique…).

Le chercheur doit, tel un moine donc, se dépouiller de toutes ses possessions terrestres au vestiaire avant d ‘aller au charbon, et transférer ses affaires de travail dans une pochette en plastique transparent (soupçon ! et si malgré les 3 portiques électroniques par lesquels il passe le chercheur cherchait à voler des ouvrages ! contrôle, contrôle !) Enfin installé, tu veux aller aux chiottes ? Malheureux ! Si tu es assis dans une salle du milieu, il va falloir courir, parce que tu es loin, très loin des toilettes, qui sont placés à quelques kilomètres les unes des autres… (sens pratique, quand tu nous tiens !) Mais une belle découverte t’attend quand tu entres : des chasses d’eau automatiques ! Tel Adrien Deume, tu peux t’extasier un instant sur cette merveille de la technique latrinesque.

Quant aux perspectives intérieures c’est, comme me l’a justement dit une amie habituée des lieux, exactement l’univers de Jacques Tati dans Playtime (1) (Melle B., 2002) : grandes fenêtres de verre, béton brut des murs, hauts plafonds et couloirs interminables, tourniquets contrôlant entrées et sorties, tapis et escaliers roulants immenses plongeant vers les salles de lecture.

Modernité géométrique, orgueilleuse, monumentale, astreignante, autoritaire… Langage pompeux (parvis, rez-de-jardin, haut-de-jardin…), matériaux un peu apprêtés (bois, verre, béton)… Mais c’est le top de la coolitude !

Pour finir ce pamphlet, une citation du grand Jacques Tati, un peu conservatrice certes, mais qui nous rappelle que la ville doit aussi être un lieu de vie :

« Que signifient la réussite, le confort, le progrès, si personne ne connaît plus personne, si l’on enlève des immeubles faits à la main pour les remplacer par du béton, si l’on déjeune dans des vitrines au lieu de se retrouver dans de petits restaurants où l’on a envie de parler, si l’épicerie ressemble à la pharmacie ? » (Jacques Tati, Le Monde, 24 avril 1958.)

1. Allez voir ce film splendide ! Il a été remasterisé en 2002, et vous pouvez allez voir sa bande annonce ici.

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I don’t have the courage to translate this long text into English, but I’ll translate something else (and very funny) about architecture. Nevertheless, I did a translation of the image of BNF that quite sums up what I wrote about the BNF (French National Library).