Enfin un sujet de fond, alors que notre bon ami Fifi (llon) nous promet monts et merveilles d’un monde où l’on travaillerait 50 heures par semaine, où les entreprises ne paieraient pas d’impôts et où l’avortement serait interdit, en gros le XIXème siècle (Fifi est blagueur et ne nous a pas encore fait part de sa proposition choc : transformer tous les immigrés en esclaves, mais ça ne saurait tarder, la bonne blague ! enfin quelqu’un pour m’éventer toute la journée avec des plumes d’autruche).
Car oui, le café est une denrée qui mérite qu’on s’y attarde, ne serait-ce que parce que je suis en train d’un boire un à 16h51, ce qui est un dangereux signe avant-coureur de la folie (et surtout de l’insomnie), tout ça à cause de la pression sociale que je subis dans mon café de hipster qui torréfie lui-même sa came, au point que je ne peux décemment pas me contenter de consommer du chai tea à 35 centimes la gorgée (valeur estimée selon mes calculs) si je veux que le barista finisse par me considérer comme une vraie personne (« barista » signifie « serveur parisien de café, en général originaire d’Australie et ne parlant pas un mot de français, barbu à favoris et portant chignon, mais en plus snob » sauf dans les Starbucks mais tout le monde sait que Starbucks c’est l’arnaque), parce que le barista n’a pas l’air très content de la vie et des gens en général.
Ce qui m’ennuie c’est qu’on est d’accord, donc s’il pouvait être un peu sympa avec moi ça serait l’occase d’une discussion profonde sur pourquoi détester l’humanité. Comme j’ai tout ce qu’il faut niveau hipsteritude, un mac, du rouge à lèvre mat, un chignon, une robe en jean lose et des boots de motarde, j’en conclus qu’il faut que je boive du café (ou que je perde du poids, mais bon faut pas déconner non plus). Oui c’est un de mes légers et charmants défauts, je suis désespérément snob et j’aime les cafés de hipsters et les hommes barbus qui portent des chemises de bûcheron (plutôt de loin, cependant) ; Dieu me jugera.
Heureusement dans les cafés de hipsters on boit du café à l’américaine, alleluiah ! Parce que l’ennui, voyez-vous, c’est que je n’aime pas le café; je trouve ça bien dégueu, même. Dès lors, le café à l’américaine permet de se jeter avec reconnaissance sur des déluges de lait et de sucre, tout ça en faisant genre on n’a pas oublié le vrai café à l’italienne puisqu’on dit latte (euh kikoo les amis, en français on dit « café au lait ») (je me suis bien gardée de parler de cette vérité inextinguible au barista, de peur de finir exclue définitivement du lieu). Merde, la blondasse sur le canapé est en train de pécho le BG qui travaille sur Asus (point négatif mais surmontable). Connasse. Elle a la technique cela dit : s’asseoir sans rien faire en regardant d’un air pénétré l’écran de son voisin ; moi, c’est sûr que le mec jette un œil sur mon écran, lit « chiasse », entend vaguement le son qui sort de mes écouteurs (Britney Spears of course, et… ah tiens Mylène Farmer) et se détourne pour toujours. Lire Victor Hugo ne marche pas non plus d’ailleurs. Je sens que demander le pot de sucre ne va pas m’emmener bien loin.
I’m feeling mighty lonesome
Haven’t slept a wink
I walk the floor and watch the door
And in between I drink
Black coffee
Hélas, ne pas aimer le café, grave handicap social autant qu’au niveau de la performance professionnelle, puisque ne le nions pas, le café est un puissant adjuvant nerveux lorsque tu as fermé l’œil deux ou trois heures la nuit précédente parce que tu n’arrivais pas à te décider si Platon était un fumiste ou un connard, ou comment tu allais payer tes impôts, ou comment il se fait que cette pute de Carrie Bradshaw finit par trouver l’amour et pas toi, ou comme c’est triste la mort de Fidel (oh et à ce propos, tous ceux qui ne sont pas d’accord c’est direct un stage chez Fifi ; allez zou !). Or donc, lorsque la fatigue point et que tu dois travailler tes social skills parce que tu t’es rendue compte la semaine dernière que tes collègues du service Développement avaient oublié de te mettre dans la boucle pour une réu ttu (très très urgente, donc) et que du coup ton chef te prend pour une perdue de la laïfe (pas faux), tu te rends, telle Léonidas face aux Perses, à la machine à café. Parce que le café, non seulement c’est ignoble (surtout celui de la machine à café, soyons lucides), non seulement ça me rend excitée comme une puce et ça ne s’arrange pas avec l’âge (une tasse de café aujourd’hui me met dans le même état que trois comprimés de guronsan à 25 berges, ce que c’est que de nous), mais en plus ça me fout la chiasse (ding ! minute glamour), ce qui peut nonobstant être pratique en période de constipation.
L’ennui c’est que j’ai tendance du coup à parler de ces choses ; or il appert que ce n’est pas vraiment une attitude sociale acceptable que de discuter digestion. C’est compliqué tout de même : on ne peut pas parler cul, ni digestion, ni métaphysique, ni politique ; résultat il faut disserter des capacités du petit dernier (il est TELLEMENT intelligent, c’est le premier de sa classe de CM1) ou du temps qu’il fait, et c’est d’un ennui tout à fait mortel, outre qu’entretemps le café a fait son effet et que tu es plus agitée qu’un acarien au salon de la moquette, ce qui finit mal en général, genre tu commences à parler de Cuba et de Che Guevara, puis de Robespierre et la mort sociale n’est pas loin.
Pour trouver des sujets de conversation, je m’étais dit que sinon l’exploitation du café ferait un bon sujet, du coup j’ai consulté le site du Comité français du café, selon qui la diffusion du café dans le monde est « l’une des histoires les plus fabuleuses et romantiques qui soit » pour faire un peu genre j’apporte aux masses la lumière. Las, l’histoire fabuleuse c’est qu’un espèce de Don Juan de mes couilles a emporté un plant de café en Martinique au péril de sa vie (un de ses rivaux, fou de jalousie, tenta plusieurs fois pendant la traversée d’attenter à la vie de la plante) (moi de toute façon ça me stresse les plantes), et puis ensuite, ben chouette ! le café fut un des piliers du commerce triangulaire et vive l’esclavage et l’exploitation de l’Afrique. Ce qui nous ramène à Fifi, Cuba, etc. etc. Fuck, encore raté.
On va encore dire que j’ai mauvais esprit ; et je suis pas encore couchée, j’ai fini mon latte à 17h23 (au prix des gorgées je le fais durer le plus longtemps possible). La vie, cet insoluble dilemme.