Rome, je t’aime.

Ceci est une déclaration d’amour. Ne tergiversons point, trois villes à ce jour tiennent place dans mon cœur fatigué de lonesome camionneuse: Paris, New York, Rome. Et ce n’est pas peu dire, la lonesome C. se piquant d’urbanisme et de cosmopolitisme de bon aloi (ouais bon, elle se la pète grave, mais qui je vous le demande ne s’est jamais pris pour le roi de son édicule?)

Roma ti amo.

Alors bon, constatons-le, les déclarations d’amour c’est vachement plus dur à faire que de bitcher sur tout et n’importe quoi (ce en quoi consiste principalement la substantifique mouelle des écrits réunis sur cette splendide page de l’internet mondial) (reconnaissons-le), mais dans ce blog nous ne reculons pas devant la prise de risque, le saut dans l’inconnu, l’ascension de l’Aventin et le bain moussant (mon royaume pour un bain moussant). Nous sommes prêts à faire une déclaration d’amour. Fichtre, vous dites-vous en votre for intérieur, mais c’est qu’elle y va fort! Après une fracassante déclaration à l’Italie, v’là qu’elle en encense la capitale! Quel anticonformisme! Eh bien oui, ce blog est d’un courage et d’une ouverture géographiques assez inouïs. Notons à part nous que de manière générale il est beaucoup plus facile de faire des déclarations à des objets et virtuellement qu’à des personnes dans la vie réelle (j’en frissonne), surtout quand on est tranquillement assise derrière son écran, plus impavide et anonyme que Gossip Girl (je ne dis pas que je regarde cette daube, attention) (je suis seulement en train de vous prouver qu’accessoirement je suis un peu en phase avec les jeunes de mon époque). M’enfin bref, comme on en a l’occasion, on ne va pas se priver. Le reste se règlera sur le divan.

Roma ti amo, donc.

Rome, mais c’est beau, très beau, très très beau. Collines et clochers en pagaille, méandres du Tibre en embuscade, jardins en terrasses et en fontaines, villas dédaigneuses, immeubles serrés et desserrés aux couleurs chaudes et fanées, fissures et fêlures dans les corniches les balcons les statues les frontons la vigne-vierge les cyprès. Les chats qui dorment les vespa qui pétaradent les cafés qui embaument les Romains qui gesticulent les trams les talons des filles très minces la bouche rouge les touristes les touristes bien trop nombreux qu’on les déteste alors on voudrait surtout ne pas en être un. Les terrasses de bar ristoranti enoteche gelaterie. Ah, manger à Rome!

Les souvenirs des Césars des cirques un Colisée le Forum des Borgia des châteaux des anges des chapelles des peintres des sculpteurs des assassins des courtisanes aux cheveux blonds des brigands, les armées de l’empereur et du pape des chemises rouges des fachos et des gauchos, et les souliers et les cheveux brillants des hommes les brigands qui sont toujours là on ne sait pas trop où les étudiants fauchés les petits vieux avec leur filet de courses au tabac au café dans les parcs au soleil. Fontaines publiques buissons ifs pins parasols lauriers roses.

Y a bien un peu trop d’églises et de papauté (démon de pape, tu n’iras pas loin) (et en plus, bon sang, qu’il est laid celui-là!) mais personne ne t’oblige à y rentrer. Si les gens étaient assez cons pour mettre leur thune dans l’architecture des églises c’est pas si grave et ça fait bien dans le paysage. Au moins les conneries de quartiers d’affaire en verre et acier ne nous gâchent pas trop la vue dans le centre-ville. BTW veuillez noter que je reste calme sur les photos, parce que putain de sa mère non seulement c’est beau, mais en plus on y tombe sur des vues à couper le souffle au sommet du moindre talus. Ces gens ont le sens du panorama.

Aventin, Cælius, Capitole, Esquilin, Palatin, Quirinal, Viminal. Et Janicule.

Et puis les gens sont gentils. Pas très bien élevés, mais gentils. Alors bon, la rigueur toute germanique de la lonesome camionneuse regimbe parfois, mais enfin tout ça est bien peu chez payé pour se raconter des choses de la révolution qu’on espère qu’elle va se ramener vite fait dans la langue chantante de Garibaldi (par chance – ou tout simplement parce que le pote qui m’accueillait a des tendances légèrement anar – je n’ai pas croisé de Berlusconiste) (il faut d’abord que j’améliore mes insultes en italien) (ces gens étaient utiles quand on avait Sarko pour éviter d’être la honte totale niveau chef d’État) (j’avoue qu’un président qui se tape des putes de 17 ans ça aurait de la gueule) (alors que maintenant on se fait concurrence dans la mollesse du genou) (à la différence que nous on a élu le nôtre) (pfffffffrt!). Je précise aussi, pour finir à cette ligne la basse calomnie qui finit toujours par me gagner, qu’il y a quand même dans cette ville extraordinaire un poil trop de bagnoles. Restez à la vespa les gars, certes c’est pas pratique pour aller chez ikéa, mais pour ça y a toujours la guimbarde de tante Yvonne.

Mais à Rome, y a surtout le quartier della Garbatella. Il quartiere che mi piace più di tutti è la Garbatella. Vous savez, c’est là où Nanni Moretti veut faire un film sur le pâtissier trotskiste dans les années 50. Esatto. Bellissima Garbatella, comme nous disait le vieux patron de bar bourru mais charmant (et de gauche, s’il vous plaît) du quartier de Marconi, qui est déjà bien sympatoche dans son genre, quand on est partis à la découverte de cet Éden de l’urbanisme après avoir bu notre deuxième macchiato de la journée parce que le café dans ce pays, comme tout, c’est un art (et en plus ça coûte rien).

Mes amis. Ça m’a fait comme dans Zone d’Apollinaire. Et c’est dire, parce que Zone c’est un des putains de trucs qui te font frissonner des oreilles à la colonne vertébrale en passant par les oreilles et la plume (lisez-le, sans vous foutre la pression).

Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon.

Garbatella c’est tout à fait ça. Il y a plein d’immeuble néo-romains aux couleurs passées jaunes oranges roses, et des jardins partout, des jardins pour tout le monde. Et des colonnes des frontons des rues droites et des rues courbes des arbres des balcons des volets ouverts et fermés des corniches des places. Enfin c’est un quartier, mais pas comme les autres, même si on ne sait pas trop pourquoi. Trop d’la balle les enfants. J’en ai chialé de le quitter quand j’ai posé mon cul dans l’avion. Et veuillez noter s’il vous plaît que j’ai eu le coup de foudre SOUS LA PLUIE, ce qui généralement me rend maussade, agressive et haineuse. Mais là je n’étais que kif, épiphanie, amour divin et urbain. Alors que mon parapluie se barrait en couilles.

Moi je suis très forte en urbanisme (nan mais soyons lucides sur nous-mêmes, quoi), et surtout pour expliquer très très bien ce qui ne pas, mais alors pas du tout. Dire quoi faire, ça, c’est pas mon boulot. Ben là, les enfants… Faut le faire ça, je vois pas bien quoi d’autre. Bon évidemment y a un léger souci, vont s’insurger les puristes de l’histoire aux édulcorants qui ont tendance à jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est que la Garbatella est une cité-jardin des années 20 imaginée par nos amis les fascistes. Eh ben moi j’en ai rien à cirer, c’est ici que je veux vivre, c’est juste trop de la boulasse. (Et puis bon quand même ça va, HEIN. Quartier populaire et parfois mal famé qui a joué un grand rôle dans la Résistance) (dommage, une bonne et franche orientation pro-fasciste eût presque été plus réjouissante, en un sens) (sans doute mon faible pour les grands blonds en uniforme).

Voilà, maintenant plus la peine de faire ma thèse, j’ai résolu le problème des grandes métropoles, du racisme, des guerres et de la faim dans le monde. Ah, cette sensation agréable du devoir accompli.

Je crois que je vais me mettre aux déclarations d’amour, finalement.

[Ne vous inquiétez pas, en vrai je reviens vite balancer moultes saloperies. Hasta la victoria, siempre, comme on dit.]