Lorsque l’auteure de ces lignes commença à utiliser la combinaison de ces deux (ou trois) signes de ponctuation dans les textos, à savoir :-) (le tiret étant optionnel, car le smiley n’a pas de nez), elle était encore jeune et fraîche, et le téléphone portable commençait à prendre son essor – vous qui avez commencé avec les abonnements Ola et les téléphones énormes avec antenne, vous aurez déjà compris que l’auteure a atteint un certain âge, un âge qui lui permet sagesse, recul et objectivité sur nombre de sujets centraux pour l’avenir de l’humanité. Le smiley, par exemple.
Loin d’être une innovation numérique, ce LOL stylisé est en fait un truc de vieux inventé en 1953. Personnellement, comme je me pique de beau style, je me fais fort d’user souvent du smiley « semi-souriant » ou « clin d’œil » qui célèbre l’originalité du point-virgule. Tout est dans la nuance. J’ai dès lors constaté ma fâcheuse tendance à abuser du smiley pour minimiser l’importance de mes (nombreux mais je me soigne) sms ; tendance directement liée à la déliquescence de notre temps regardant le second degré ainsi qu’à ma solide tendance à me sous-estimer totalement. Un exemple typique : « Tu me manques ;) » Le smiley induit subtilement qu’il s’agit peut-être d’une blague, et que si la réciproque n’est pas vraie on peut totalement oublier ce qui a été dit. Rien n’est sérieux en ce bas monde, et surtout pas les sentiments. De même, un smiley triste permet d’appuyer ses paroles pour protester d’une fausse sincérité « Quel dommage je peux pas j’ai piscine :( :( :( », la démultiplication des smileys traduisant l’intensité de la tristesse du sujet – tout en laissant entendre qu’il s’agit tout de même d’une réponse subtilement ironique car, qui sait, j’ai peut-être piscine ou peut-être une vie secrète fascinante ou bien j’ai juste envie de rester lire des bédés chez moi. Qui sait.Voilà, donc en fait le smiley c’est un truc de vieux : bien évidemment le sujet brûlant est celui des émoticônes ou emoji (sans doute un mot de Japonais du genre Godzilla, le lézard qui fout le bordel partout où il passe).

Mais pourquoi ont-ils tous le visage jaune? Qu’en pense Finkielkraut?
Ces quelques images sont le nouvel alphabet censé traduire toute la palette des émotions humaines. Comme on le voit, à l’heure d’internet, elles sont plutôt rudimentaires, les émotions. Goethe tu repasseras merci bisous. Icônes: déjà, ça pue l’encens et les bougies mal cramé, c’est louche. Ce vocable vulgaire désigne de multiples petits dessins destinés à agrémenter les textos de… de quoi en fait ? Nul ne le sait vraiment: à honorer le Dieu de l’internet sans doute ; le choix de ces petits dessins est tout aussi mystérieux, comme s’ils étaient sortis de la cuisse de Steve Jobs ; en tout cas, votre humble servante se trouve souvent perplexe face à de mystérieuses missives faisant passer la Pierre de Rosette pour un vulgaire dessin animé. En effet, les émojis étant en nombre limité, il faut comprendre le sous-texte, du genre :

Est-ce ainsi que les jeunes parlent?
Commence alors LE REBUS MALEFIQUE. WHAT THE FLYING FUCK mec ? (ou meuf, c’est souvent des meufs qui t’envoient un rébus maléfique) (connasses sans coeur). J’ai appris récemment que l’aubergine combinée à la tête d’angoissé du cri de Munch (franchement, c’est so du copié collé) signifie « envie de pénis ». BON. Cela me sera-t-il utile? Je m’interroge.
De peur de passer pour une mongole out of date ou du siècle dernier si l’on préfère (ce qui est le cas puisque, quand tu étais jeune tu te vantais encore d’être « génération Mitterrand », une revendication que tu as laissé tomber depuis le passage à la trentaine et quelques lectures sur l’histoire du Parti socialiste), tu fais donc mine de tout comprendre et tu réponds avec une pauvre tentative d’acronyme du genre MDR YOLO. En effet, depuis que tu as renoncé à l’iphone tu NE PEUX PAS utiliser d’émojis, ce qui suscite trop souvent un douloureux sentiment d’exclusion sociale et un désir sadique de confisquer définitivement à tes élèves leurs iphones 6 tandis qu’ils envoient des sms entièrement constitués d’émojis depuis ton cours. Car tout de même, il y a celui-là:

Le caca qui sourit.
La matérialité de la société de consommation te confronte en effet à l’une des nombreuses contradictions fascinantes qui animent ta vie de moule capitaliste se proclamant altermondialiste. Tu revendiques à la fois un mépris affiché pour l’assèchement du langage et du cerveau par ces claviers d’images ridicules tout en désirant ardemment mépriser leurs codes. En plus il y a fort à parier que ces codes en question sont déjà vieux comme Mathusalem, notons que tes élèves ont bien saisi le problème en t’expliquant que « de toute façon vous n’êtes pas sur Snapchat madame, laissez tomber ». Snapchat, un mystérieux réseau social qui semble consister essentiellement à s’envoyer des selfies retouchés (ouah je suis trop belle sur cette photo, regarde on voit même pas mon bouton) ou des récits de boustifailles au macdo. Trop je me sens vieille, trop j’ai pas de laïfe.
Pendant ce temps, les trentenaires font des battles d’icônes facebook fun qui font des bisous tout en pétant des arcs-en-ciel. Je veux mon téléphone itinéris et mes gros annuaires en papier ! (Mais là se pose un autre problème, car si je me mets à réutiliser le téléphone de ma grand-mère comme dans Mad Men et une machine à écrire je verse dans le hipster, ce qui est tout aussi affreux : les hipsters s’envoient-ils des smileys par la poste, sur des lettres manuscrites ?).
Je ne comprends rien à mon époque ;)
« Ce vocable vulgaire désigne de multiples petits dessins destinés à agrémenter les textos de… de quoi en fait ? Nul ne le sait vraiment: à honorer le Dieu de l’internet sans doute … »
Bingo.
http://www.bibleemoji.com/
A genoux! Prions!