Le vocabulaire est mouvant, et croyez-bien que cela réjouit la malade mentale l’esthète des mots que je suis, moi qui me gouleye de leurs sonorités de haute boulasse et substantifique mouelle. Alors forcément, comme nous sommes dans un monde de comptes de boutiquiers et de palmarès de compétition acharnée, on nous fournit bien aimablement un palmarès des « nouveaux mots » intégrés au dictionnaire Oxford en ligne 2013, qui sont, au coude à coude, « selfie » et « twerk ». Et le gagnant, au grand scandale de l’auteur, est le « selfie ». Le monde part en couille, les enfants, je suis ébaubie, ébahie bref, en un mot, stupide, devant la cruauté de cet injuste palmarès.
Passons sur les lamentations des vieilles birbes qui argueront du scandale de la contamination du Frrrrrançais par le vocabulaire anglo-saxon. Après 200 ans de pollution des autres langues par le français, on pourrait peut-être arrêter de faire les fausses prudes. En outre la langue de Shakespeare est aussi belle qu’une autre, et si le Grindylow pouvait devenir partie de notre vocabulaire, la Lonesome Emmerdeuse serait aux anges (mais j’en doute, les monstres imaginaires n’ont pas fort bonne presse). Moi je suis pour le métissage, comprenez-vous, ce sympathique mélange des cultures me réchauffe le cœur, heal the world make it a better place et n’oubliez pas de signer la pétition pour les poissons. Je veux dire merde, il faut qu’il y en ait pour tout le monde un peu.
Revenons au cœur de l’affaire: le « selfie », qu’est-ce donc? Eh bien rien d’autre qu’un autoportrait, à la différence qu’il s’agit ici le plus souvent d’une photo moisie prise avec son iPhone sous les néons en faisant une duckface des plus ridicules. Syndrome désolant de l’individualisme galopant qui dévore notre société: poster sur les réseaux sociaux une pauvre célébration de son Moi, Moi et Moâ. Halte-là, braves gens! La photo de profil est déjà une torture suffisante. Ou au moins déguisez-vous (en Grindylow par exemple, bon je dis ça comme ça hein), enfin faites appel aux forces de l’imagination quoi. Nan mais c’est vrai, on est là tranquillement à traînasser se cultiver sur les dernières informations sur twitter, et puis d’un coup, un clic et BAM ! la gueule à Mimile en train de se faire un rictus à lui-même ; si encore c’était Daniel Craig, bon. Mais je doute que Daniel Craig fasse des selfies, cet homme est parfait (et ses abdos aussi).
Oui, je suis une conservatrice du siècle dernier qui pense que l’apparence n’a pas d’intérêt sans la substance (ding! minute philosophie à deux francs). Si ça ne vous va pas, c’est le même prix. Huhuhu.
Mais alors quid du « twerk »? Cette danse du cul mise à l’honneur par Miley Cyrus, qui a l’air de ne pas avoir 40000 neurones mais enfin qui donne de son corps, voilà qui aurait été un peu plus shake yourself les enfants. Déjà, parce que bon, on peut facilement faire un remix avec « Pour aller danser le twerk », et là j’ai envie de dire : BONITO ! Je fais un appel solennel à M. Pokora pour se mettre sur l’affaire. Ensuite, parce que le twerk c’est la générosité des fesses qui se trémoussent (tu donnes tu donnes tu donnes), mais aussi l’ancestral retour au rythme du corps humain: vas-y que tu bouges ton postérieur au son des tambours, dans une réminiscence dionysiaque et orgiaque de la danse des origines. Quelque part, Miley Cyrus nous met face à notre condition d’humains, le dieu qui saurait danser quoi. Et attention faut bosser les fessiers, les amis!
Bref, encore une victoire de l’apparence sur le sens. Je suis effondrée.