Du régime

Le régime. Sujet tellement évident qu’il ne m’est jamais venu à l’esprit ; limite c’est comme parler du bavardage, non pas que je bavarde beaucoup pour ne rien dire, mais enfin le bavardage fait partie de l’humaine condition.

Quand tu es femme, le régime fait partie de ta vie, c’est l’intime, la moelle et les os (ce que tu aimerais qu’il reste à la fin), la consubstance de ton être. Ô femme, j’en conclus que tu as déjà un jour, une nuit, une semaine, un mois, des années, fait un régime. Comment, non ? Ah mais tu vis dans le Tiers-monde et tu n’as pas de quoi te nourrir, ça n’est pas mon problème même si c’est bien malheureux ; mais ne t’inquiète pas François Hollande est en train de régler ton problème j’en suis sûre.

La nature de l’accès à la nourriture conditionne en effet l’apparence de la femme : non contente de satisfaire aux besoins domestiques de l’Homme, elle doit faire de son corps une esthétique, un repos pour les yeux et soumettre son anatomie à de changeantes dictatures, toutes également mauvaises pour ses artères et l’estime de soi – car rares sont les matières qui s’élèvent durablement au rang de l’idéal.

Pièces aux paysannes ridées par le soleil, amaigries et voûtées de glanages et de grossesses, les aristocrates au teint blanc serrées de corsets pour faire ressortir de larges hanches ; face aux prolétaires nourries de graisse de fast-food, de minces androgynes aux cheveux brillants (le cheveu brillant est un autre gros challenge, mais ne nous éloignons pas du sujet). En outre la dictature de la minceur est devenue maigreur dans les méandres des années 2000, ce qui n’arrange pas notre schmilblick. Kate Moss rules (avez-vous remarquécomme Kate Moss réussit à la fois à arborer des cheveux apparemment sales et décoiffés MAIS brillants ? duplicité remarquable ! mais je m’égare).

nathaliejomard.com

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La femme occidentale, donc, se voit soumise à l’impératif catégorique de la maigreur dès son adolescence ; et qu’importe que le tour de ses os du bassin fasse un mètre, il faudra les casser et les rentrer dans ce jean skinny dessiné pour une brindille, le sablier c’était bien au XVIIIe siècle poupée ! J’ai dû faire mon premier « régime » à 13 ou 14 ans, vu que je suis plutôt du genre courbes, toutes ces chairs qui se mettaient à dépasser de partout, quelle horreur ! Pourquoi s’emmerder à kiffer la vie, alors que tu peux découvrir avec passion cet art du masochisme qu’est le régime? Ah, cette sensation de FAIM, cette joie du quartier de pomme, cette impression de tout maîtriser (alors qu’en fait juste tu te fais chier à ne pas bouffer des trucs trop bons, concrètement).

Par chance la nature m’a dotée d’une nature exceptionnellement paresseuse (et accessoirement gourmande), ce qui a toujours limité l’ampleur de mes efforts en la matière. Reste que, comme toutes les femmes (ou presque), je n’aime pas mon corps, comme cette amie anorexique qui, alors qu’elle pèse 35 kilos, te complimente très sincèrement sur ta maigreur. Elle ne se voit pas, elle se pense laide, forcément.

Les régimes se nomment Légion, et la mode en change plus vite que le DRH d’Air France de chemise : régime dissocié, régime protéiné, du slim-fast au régime Dukan où bouffes que tu bouffes du poulet et tant pis si tu perds un rein au passage, régime « tout blanc » (oh oui oh oui encore du poulet!), régime méditerranéen (qui a fait tant de bien aux Grecs), régime paléo, oui, comme paléolithique : il s’agit de bouffer comme un cro-magnon et de dire merde à l’agriculture (en attendant tu bouffes quand même bien du poulet élevé en batterie si t’as pas moyen de te payer du bio mais passons) (oui aujourd’hui c’est obsession poulet). Au passage tu découvres les baies de goji et des thés verts dégueus, 100 euros les 10 grammes, ah mais oui ma bonne dame c’est roulé à la main sous les aisselles par des bonzes thaïs et vive la détox et le jeûne c’est trop bon pour la santé. Et c’est pour ton bien ta minceur.

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Bref, le but est de te faire payer une blinde pour des merdes qui te niquent le foie mais originales et ultimes que genre si tu bouffes que de la baie de goji tu vas perdre vite fait quarante kilos (n’en doutons pas, c’est quand même assez dégueulasse, même si trop ruineux pour s’en nourrir exclusivement à plus de trois par jour).

Alors que bon, ne nous voilons pas la face, si tu veux perdre du poids, une seule solution : faire plus de sport et manger moins. Voilà voilà. JDCJDR.

En général bien sûr, quand tu réussis enfin cet effort colossal tu es trop contente, trop de la balle, tu t’achètes toute une nouvelle garde-robe avec ce qu’il te reste des ponctions opérées par les baies miraculeuses de l’Anapurna sur ton porte-monnaie. Ruinée mais mince. Mais quel destin cruel se profile à l’horizon ? Le yo-yo bien sûr ! Car le régime une fois fini, l’attention se relâche et kikoo le retour des kilos, et retour à l’histoire de la vie, le cycle éternel et le gros cul mou. Et vas-y que tu dois te racheter toute ta garde-robe puisque tu avais jeté toutes tes fringues trop grandes.

Selon mon expérience personnelle, le régime le plus efficace est la dépression : sept kilos en trois mois, tavu, quelle joie, quelle satisfaction, quel accomplissement ! Peu importe que tu aies une tête de zombie, enfin les kilos sont vaincus ! Pour cela, très simple, il suffit de se faire larguer en beauté. Mince et célibataire comme une merde ou grosse en couple, j’ai envie de dire, le choix est vite fait, dites adieu à Dédé. Eh oui la vie est une chienne.

Bientôt l’hiver, les kilos s’accumulent, dépêchez-vous ! Et n’oubliez pas un petit bain à l’œuf et à la baie de goji pour les veuch, plus vous ressemblerez à un Chewbacca anémique, mieux vous aurez réussi votre vie.

(On me chuchote dans l’oreillette que chez certaines la dépression fait grossir. Que dire, sinon qu’il faut alors bien évidemment approfondir la dépression à sa juste mesure: pensez au vide, à la mort, à la solitude infinie de l’existence et hop! on est repartis pour un tour!)

De rien.

Harcèlement de rue

Ok c’est grave pas original.

Au début de cette histoire de harcèlement de rue, je me suis secoué les petits neurones (oui j’en ai, mais ils sont petits ; chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a) et me suis fait la réflexion qu’après tout ce n’était qu’un petit symptôme, du « féminisme cupcake » en quelque sorte (ouais, on m’a déjà dit que je fais du féminisme cupcake alors je me méfie depuis; quoique personnellement je dirais plutôt que je pratique le féminisme « bisounours » soyons précis), et qu’il fallait lutter d’abord pour l’égalité réelle de tou(te)s : de salaire, de temps, de statut social. Que c’était un truc qui visait surtout les hommes des classes populaires, et que de toute façon j’allais pas rajouter grand chose au schmilblick.

De fait, le féminisme ne doit pas se réduire à la dénonciation de ces attitudes agressives et quotidiennes. Le harcèlement de rue est certainement plus un symptôme de la domination masculine qu’une grande cause nationale sans aucun autre contexte (arrêtons de harceler dans la rue mais continuons d’empocher 20% de salaire en plus). Cependant, la réduction systématique de la femme à un objet (sexuel) me semble être un des fronts sur lesquels nous devons lutter.

Egalité des corps, égalité des salaires, égalité des sexes.

Par ailleurs la pratique de l’espace urbain selon les genres est d’une inégalité qui touche à l’extrême ; je m’abstiendrai de vous faire un cours (juste 30 secondes quand même), mais les chercheurs qui bossent sur le sujet montrent que ¾ des dépenses publiques urbaines pour les équipements et loisirs profitent aux garçons (kikoo les stades de foot), qu’il s’agisse d’espaces aisés ou populaires. Vous imaginez le résultat sur l’occupation de l’espace public. Dong ! Fin de la minute culture.

Revenons donc au sujet à la mode, le harcèlement de rue (quiconque me connaît sait que j’ai une faiblesse pour la mode, superficialité toute féminine que l’esprit philosophique de l’Homme évite sans difficulté, lui). Il se trouve quand même qu’une bonne partie de ces comportements sont passibles de poursuites au pénal. Enfin cela dit j’imagine la tête des flics quand tu viens porter plainte parce qu’un mec t’a traité de salope (voir l’attitude de la police à mon égard ci-dessous d’ailleurs) ; oui, parce que quand même elles vont pas se plaindre de se faire draguer les minettes, et puis elles n’ont qu’à pas porter de jupe.

Comme beaucoup de femmes, je l’imagine, j’ai été des années mal à l’aise avec mon corps – et c’est encore parfois un combat quotidien de mettre une jupe plutôt qu’un jogging équipé d’un airbag qui cacherait l’entièreté de mon anatomie. ‘T’es un gros tas – Mais nan attends t’as des gros seins, c’est pas mal – Ouais mais t’as vu mes cuisses, et ça c’est de la cellulite – Bon demain je me mets au régime mais en attendant on va faire comme si j’étais mince’. (Ceci est le dialogue de moi avec moi-même tous les matins devant l’armoire). Ouais je sais c’est un peu moisi comme combat quotidien, big up à l’usine et à Radio France, mais que je sache les 3/8 sont une opération de destruction du corps aussi, et tout cela est quand même légèrement un problème à mon humble avis.

Toujours est-il qu’après ces moultes tergiversations psychanalytiques et suite à une intense opération d’autoérotisme, je, femme, m’habille journellement d’oripeaux attirants, ce qui suscite donc à foison cet intéressant phénomène de guérilla urbaine masculine que l’on nomme « harcèlement de rue » (alors que bon, j’ai jamais rien demandé, je m’habille pour moi pas pour attirer le chaland, merci bisous lol) (perso un mec en short ne m’a jamais donné envie de le violer) (il faut dire que c’est laid, un short). Attention point précision : je ne raconte ici que des choses qui m’arrivent à moi (oui je suis une biatch égoïste comme Britney), il est donc tout à fait possible que des personnes qui choisissent de s’habiller en airbag pour cacher leurs formes subissent AUSSI ce genre d’aimables événements. Ceci n’est donc qu’un témoignage de ce qui est arrivé à MA petite gueule, et non un argumentaire politique construit. Cela dit ça m’intéresserait bien qu’on en construise, un argumentaire politique construit, et pas seulement une HACHETAGUE CAMPAGNE DE PUB, parce que vu ce qu’on lit dans les magazines, on n’est pas frappé par la puissance de l’analyse. Allo. On n’est pas aidées. (Je m’excuse du côté geignard et autocentré, donc, j’ai rien trouvé d’autre pour le moment).

Je vais raconter simplement selon un principe de gradation. Si je raconte ça, c’est d’abord parce que j’en ai discuté récemment avec un ami homme tout à fait bien intentionné, et qui a rigolé quand je lui ai dit que ça m’arrivait quasiment TOUS LES JOURS. Quand je l’ai vu rire, mon sang n’a fait qu’un tour.

Et oui, les amis, tout ça nous arrive PRESQUE TOUS LES JOURS (surtout si on prend les transports en commun). Parce qu’on porte une jupe. Ou même pas. Juste parce qu’on est une femme.

Donc voilà, tout ça m’est arrivé, en 30 ans d’existence – et plus particulièrement en 15 ans d’existence parisienne.

Extrait de l'excellent "Projet Crocodiles" par Thomas Mathieu. http://projetcrocodiles.tumblr.com

Extrait de l’excellent « Projet Crocodiles » par Thomas Mathieu.

  1. Quotidien

« T’es charmante mademoiselle », « Tu as de jolis yeux ». J’en passe. On le justifie par la « drague » (moi j’aime bien la drague, quand c’est bien fait et pas imposé ; c’est rare). Seulement, représentez-vous que la 5ème ou 10ème fois, c’est GONFLANT. Oui, 10 fois, 15 fois, dans la même journée, avec une jupe courte, c’est tout à fait possible. D’autant plus quand on se prend un « Salope » sonore pour avoir ignoré la remarque. Mais à part ça toi t’es pas un connard, t’essaies juste de draguer.

La sensation désagréable d’intimité dans les transports. Bon l’heure de pointe c’est la lose pour tout le monde. Seulement les gars, si vous pouviez essayer de déplacer votre entrejambe quand le métro est bondé est qu’une femme est contre vous ; parce que du coup, quand vous avez la gaule, c’est bah… dégueulasse.

  1. Parfois

Une main sur la cuisse, une main sur les fesses (lui il a eu de la chance que la porte du métro se ferme à temps, mon mec allait lui faire la peau ; sentiment d’impuissance parce qu’on n’arrive pas soi-même à leur faire la peau, en passant), une main sur les seins, un mec qui sort sa bite devant toi dans la rue (kikoo le petit oiseau chauve).

Occurrence une fois par an. Ce qui fait pas mal, tout bien réfléchi – il s’agit tout de même d’une agression physique. Je ne parle pas des regards insistants ni des sifflets bien sûr, c’est peanuts. Ni des mecs qui te suivent quand tu rentres chez toi le soir. De quoi on se plaint, y a pas d’atteinte physique.

Le winner toutes catégories est celui de l’an dernier. Une camionnette ralentit – pour demander son chemin sans doute (remarquez ma gentillesse et mon éthos charitable).

« Je peux vous aider ?

Ouais, moi et mes potes (ils sont plusieurs à se bidonner dans la camionnette) on va à un studio de tournage, on se demandait si tu voulais venir avec nous, parce que t’es mignonne et moi, ton string, je prends la ficelle avec les dents et je te la fais claquer. 

Non merci » (Eh oui, comme une conne je ne trouve rien d’autre à dire ; mon sens de la répartie est parfois mauvais, C’EST BALLOT). Plus loin dans la rue (ils me suivent quelques mètres) « Eh ben fais pas ta timide, viens avec nous. » « Salope. » Voilà, salope, ça finit toujours comme ça. RICHESSE DU VOCABULAIRE.

(Précisons que je ne porte jamais de string, je trouve ça vulgaire, merci bisous lol connard).

Connard, con, salaud, imbécile, fumier, saleté, dégueulasse, ordure, charogne, sagouin. Je devrais apprendre la liste par cœur.

Projet Crocodiles par Thomas Mathieu

Projet Crocodiles par Thomas Mathieu

  1. Occasionnellement

Sortir en boîte gay, normalement, c’est safe pour une femme. Eh bien non, l’autre soir, en sortant, un gars (apparemment les hétéros viennent en boîte gay parce que les filles y vont pour être tranquilles, vlà l’raisonnement) me prend par l’arrière du crâne, me roule une pelle, et s’éloigne tranquillement. Soyons clairs les amis, ce n’est pas ce que j’appelle un baiser volé. C’est une agression. Mais enfin tout le monde est bourré, tout le monde est content. Je n’ai rien dit, de toute façon on sortait. Je suis rentrée et je me suis lavée 50 fois la bouche avec du savon.

Et puis sinon, un soir, je rentrais très tard chez moi, en robe décolletée (forcément sinon c’est pas marrant, on ne peut pas culpabiliser), un type m’a suivie dans la rue puis le hall, bâillonnée de la main, balancée dans les escaliers, puis m’a donné un coup de poing dans la figure et m’a pris mon sac. Je suis incapable de dire si l’agression était aussi sexuelle ou pas, je me souviens juste de ça. Et ensuite, de l’interne qui matait ouvertement mon décolleté aux urgences, puis de LA policière qui a pris ma plainte en me disant que j’avais de la chance parce qu’il y avait une fille qui s’était fait asperger avec du gaz lacrymogène à Pigalle, et que c’était bien pire.

De la chance.

Depuis j’ai toujours une bombe lacrymogène anti-agression dans mon sac, et je continue à sortir tard en décolleté.

Voilà c’est tout bonsoir.

Laisse pas traîner ton fils.